L'Allemagne au desespoiAAR
Posté : mar. févr. 10, 2015 6:50 pm
Il fait froid. Le vent glacial souffle et mord les chairs exposées en ce matin de printemps, à tel point que l'on croirait l'hiver mener un dernier combat retardateur pour ne pas céder la place. Le ciel bas et gris diffuse une lumière blafarde et morose, qui n'est pas apte à alléger l'humeur des hommes qui se pressent vers le Pražský hrad.

Mathias Von Thurn, engoncé dans ses pelisses et ses fourrures, ne sent pas la bise glacée: le sang lui bat les tempes, ses muscles sont échauffés par la marche vive qu'il impose à sa petite troupe. Ils sont plus d'une cinquantaine à le suivre d'un pas rapide qui essouffle les moins jeunes et les moins athlétiques de ses comparses, pourtant il ne lui vient pas à l'idée de ralentir. La colère et la détermination guident son pas et rythment sa démarche.
Lui, Mathias von Thurn, comte de Thurn, burgrave de Karlštejn, n'est plus un fidèle de l'empereur Rodolphe II de Habsbourg. Trop longtemps ses coreligionnaires protestants ont soufferts de la discrimination des rois catholiques et de la couronne Impériale.
Les démarches pour obtenir la reconnaissance de leur particularisme, le droit à pratiquer leur foi, le respect de leurs coutumes ont toutes échouées. La lettre de remontrance, dernière tentative de conciliation, envoyé à son altesse royale, est restée sans réponse: un affront qui bafoue son honneur et celui de ses pairs.
Mathias von Thurn:

Devant lui, la masse gigantesque du Pražský hrad, l'immense château royal de Prague, domine la vieille ville et le pont sur la Vltava . Les eaux grises et boueuses du cours d'eau bouillonnent autour des piles de pierre du pont qui relie vieille ville et ville nouvelle, et reflètent le gris morne du ciel triste qui assombrit ce jour.

L'ensemble massif du château n'a rien perdu de sa superbe, les ans semblants n'avoir aucune prise sur lui, et il trône au sommet de la colline de Hradcany. Des murs épais, dont émergent les tours de l’église édifié par Venceslas, émane une puissance ancestrale, puissance qui abritait le premier fief des Premyslides, la dynastie originelle de Bohême, installée ici vers l'an mil. Cette masse de pierre ne laisse pas indifférent le visiteur.

Les murs du palais :

Les gouverneurs du pouvoir Habsbug s'y trouvent, venus pour soumettre à leur botte la noblesse tchèque. Quelle erreur d'imaginer ces fiers aristocrates ployer sous la morgue Habsburg. La petite noblesse de Bohême est une société vigoureuse, qui a acquis ses lettres de noblesses et ses habitudes belliqueuses dans les combats immémoriaux contres les Turcs Ottomans. Croire que l'on peut la mater aisément est une bévue que Thurn compte bien faire payer à l'empereur et ses sbires.
La grille du château n'est gardé que par quelques sentinelles. Thurn est attendu. Derrière lui, Andreas Schlick , Venceslas de Ruppa, et tant d'autres se bousculent. Thurn est attendu, mais pas avec une délégation aussi importante. Les sentinelles hésitent. La masse d'hommes qui suit Thurn les saisie, les maitrise. On s'empare de leurs arquebuses et de leurs piques. De sous les manteaux sortent des gourdins, des poignards, quelques pistolets à rouets.
Décidé, le burgrave de Karlštejn pénètre dans la cour du château, la délégation musclée sur les talons. Un bref coup d’œil à la cathédrale Saint Vitus. Il n'a guère le temps de s'attarder à l'admirer. Il sait qu'à l'intérieur on trouve des vitraux qui n'ont rien à envier à l'Europe de l'ouest, presque aussi beaux que ceux de la Sainte Chapelle de Paris. Mais Thurn n'est pas là pour ça.


Le voila à l'entrée du château. Il hèle les gardes transis en train de battre le pavé en espérant se réchauffer, tandis qu'un panache de buée se forme devant sa bouche, pénètre dans le bâtiment. Encore une fois, dépassés par le nombre, surpris de la vindicte des visiteurs, hésitants, les gardes sont maitrisés, quelque peu molestés. Dans les couloirs et les coursives, les partisans de Thurn se répandent en courant, prenant position sur quelques points clefs de l'édifice.
En quelques enjambées énergiques et furieuses, semant presque ses comparses, Thurn se retrouve à l'étage noble. Et se présente en personne devant les représentants du roi de Bohème, Jaroslav Borsita von Martinic, Ladislas von Sternberg, Diepold von Lobkowitz, et Wilhelm Slavata.
Les officiels autrichiens restent interdits devant le nombre d'hommes qui accompagnent Thurn. Ce n'est plus une délégation, c'est un parti armée. Poignards et pistolets sortent de sous les manteaux, sont exhibés sous le nez des soldats impériaux, tenus en respect.
Une salle voutée du palais :

Martinic voudrait protester, mais Thurn lui coupe la parole. Il ne s'agit plus d'une délégation, et ce qui s'en suit n'est pas une conversation à batons rompus. La réclamation a pris fin lorsque les nobles tchèques sont entrés en force dans l'enceinte du château. Désormais il s'agit d'un véritable tribunal. L'on coupe la parole aux représentants de Rodolphe, on leur interdit toute argumentation pour se justifier. La morgue et le mépris affiché depuis des semaines se paye ici et maintenant. Thurn écume, enrage, tonne, gronde. Les impériaux n'en mènent pas large, tenus en respect par ces insurgés armés et colériques.
Martinic pourtant fait preuve d'audace, cherche à contester, à rappeler l'autorité divine et indiscutable de son souverain. C'en est trop.
- "ASSEZ ", tonne Thurn ! Vous n'avez cessez de bafouer nos droits édictés dans la lettre de Majesté, contraints nos sujets à renier leur foi, contre leur volonté, et les inculpant pour cette raison !
Thurn se tourne vers ses suivants, clame haut et fort : " Que nous gardions ces hommes vivants, et nous perdrons nos droits, notre foi; car il ne peut y avoir de justice de la part de ces hommes là !"
Dans la grande galerie où se déroule l'altercation, Thurn et Schlik avisent les grandes baies vitrées. Ils se rappellent tous les deux cet épisode, près de deux siècles plus tôt, ou les Praguois révoltés jetèrent par la fenêtre les échevins catholiques qui prétendaient faire abjurer leur foi aux Hussites.

Alors, le sang bout et ne fait qu'un tour dans les veines de Mathias von Thurn.
"Saisissez les ! Ouvrez moi ces foutus fenêtres !"
Les gouverneurs hurlent, crient, supplient, se laissent choir au sol pour échapper à leurs gardiens, vocifèrent, menacent. Rien n'y fait, les insurgés, survoltés, les empoignent, les poussent vers les fenêtres. Alors que les battants s'ouvrent, le froid s'engouffre dans la pièce, pourtant bien incapable de refroidir les ardeurs des insurgés.
Qui précipitent vers le vide leur première victime, Martinic. Un cri de peur "Marie !".
A son tour, Slavata est poussé vers l'abime. Il agrippe ses doigts aux rebords de la fenêtre, se débat, proteste. Mais ses bourreaux sont trop nombreux, trop déterminés. On le meurtri de coups, on frappe ses doigts, on pousse sur ses coudes pour faire lâcher ses bras. Il lâche prise, entrainé dans le vide.
La divine mère de Jesus a entendu l'appel de ses fidèles. Car il n'y a qu'un étage sous les fenêtres de la galerie qui surplombe une petite cour annexe, à proximité des écuries. La miséricorde divine prend des chemins parfois détournés, en l’occurrence la forme d'un tas de fumier entreposé au pied des fenêtres. Martinic, puis à sa suite Slavata, choient dans cet inespéré matelas.
Martinic, le premier à chuter, se redresse tant bien que mal. La chute, en dépit du fumier salvateur, n'a pas été sans horions; les coups reçus n'ont rien arrangés. Il reprend ses esprits, lorsque Slavata tombe à coté de lui. Une tête apparait alors à la fenêtre d'où ils ont étés malproprement jetés. Un cri fuse: "ils sont vivants !" Avec rage, un pistolet est brandi par l'embrasure de la fenêtre, un coup détonne dans l'air glacial, et vient claquer contre les pavés de la cour.
Alors, mus par un réflexe de survie, boitillants, claudicants, meurtris et honteux, les deux gouverneurs prennent leurs jambes à leur coups et détalent sans demander leur reste.

Les dès en sont jetés. Mathias von Thurn le savait, désirait cette rupture, mais maintenant que le point de non retour est franchi, il ne peut réprimer un frisson d'angoisse à l'idée de la suite des événements. Se doute t'il que son geste va embraser l'ensemble du monde germanique, et au delà, pour 3 longues décennies ?
Ce 23 mai 1618 allait mettre le feu aux poudres à l'ensemble de l'Europe. Depuis les confins occidentaux de la Lorraine, jusqu'aux plaines hongroises ou aux landes de Poméranie, les armées et les hommes allaient s'entredéchirer.
SITUATION GENERALE
Ferdinand II, le nouveau roi de Bohème, élu en 1617 roi de Bohème, hérite d'une situation politique peu enviable au sein du Saint Empire Romain Germanique.
Cette mosaïque d'états, de principauté laïques ou ecclésiastiques de diverses tailles, est divisée profondément.
L'autorité de l'Empereur ne s'y exerce que si le monarque en place fait preuve de poigne.
Depuis 1617, Ferdinand a été élu Empereur par les grands électeurs, le désignant du vivant de son prédécesseur, son cousin Mathias, agonisant et n'ayant aucun descendant.
Un siècle plus tôt, le moine Luther avait semé les germes de la discorde. Les theses développées par ce dernier contestaient l'autorité d'une Eglise profondément corrompue, et partant de là, de l'ensemble des princes du siècle.
La Reforme s'était propagée rapidement dans le monde germanique. De nombreux princes adoptèrent le Protestantisme. Ces choix ne révélaient pas uniquement d'une remise en cause de la foi et des croyances.
De basses considérations politiques entraient en jeu: opter pour le Protestantisme, c'était s'affranchir de l'autorité de Rome et de son bras armé, le pouvoir séculier de l'Empire.
Des conflits et des batailles s'ensuivirent. En 1555 la ligue d'Augsbourg stipula que les princes allemands étaient libres de choisir la confession de leur choix, leurs sujets n'ayant qu'a se soumettre "Cujus regio, ejus religio".
Les dignitaires de l'Église catholique (évêques et archevêques) qui s'étaient convertis au luthérianisme durent abandonner leurs domaines fonciers.
Pensant pouvoir restaurer le catholicisme dans un royaume où l'on trouvait de nombreux protestants, le roi de Boheme Mathias provoqua une rébellion chez les nobles de Bohême. Le 5 mars 1618, après que la Ligue catholique eut fait fermer un temple à Braunau et qu'elle eut fait raser une église dissidente édifiée sur les terres de l'archevêché à Hrob, les nobles s'assemblèrent et adressèrent à Matthias une lettre de remontrances ; pour toute réponse, le monarque fit interdire le parlement.
Le 21 mai 1618, les princes rebelles se réunirent au Carolinum de Prague. L'assemblée, d'abord paisible, tourna au tumulte après le discours de Heinrich Matthias von Thurn, comte protestant de Boheme, qui n'admettait pas que le vieux monarque leur batte froid de la sorte.
Deux jours plus tard, sous l'impulsion de Mathis von Thurn, la quasi totalité des dirigeants Tcheques se range derriere lui, biens décidés à rejeter l'autorité étouffante de l'Empereur. C'est la défenestration de Prague.
Mais cet acte de lèse majesté ne pouvait être toléré par Ferdinand. De leur coté, les ligueurs savaient qu'ils avaient franchis le Rubicond. Ils ne pouvaient plus faire marche arrière, et ils désignèrent Frederic V du Palatinat (donc grand élécteur) comme leur roi. Von Thurn pris la tête des armées de Bohème.
S’appuyant sur la Sainte Ligue et sur son cousin Philippe III d'Espagne, Ferdinand II se mit en devoir pour sa part de mater la révolte tchèque et d’éliminer son rival Frédéric V.
La conflagration vient d'éclater. Elle va durer trente ans, faire des millions de morts, dépeupler l'Allemagne du tiers de ses habitants, briser les vieilles alliances, ruiner les économies, bouleverser les équilibres politiques et militaires, et révéler le meilleur, et surtout le pire, des individus, modestes ou célèbres, qui vont y participer de près ou de loin.

Mathias Von Thurn, engoncé dans ses pelisses et ses fourrures, ne sent pas la bise glacée: le sang lui bat les tempes, ses muscles sont échauffés par la marche vive qu'il impose à sa petite troupe. Ils sont plus d'une cinquantaine à le suivre d'un pas rapide qui essouffle les moins jeunes et les moins athlétiques de ses comparses, pourtant il ne lui vient pas à l'idée de ralentir. La colère et la détermination guident son pas et rythment sa démarche.
Lui, Mathias von Thurn, comte de Thurn, burgrave de Karlštejn, n'est plus un fidèle de l'empereur Rodolphe II de Habsbourg. Trop longtemps ses coreligionnaires protestants ont soufferts de la discrimination des rois catholiques et de la couronne Impériale.
Les démarches pour obtenir la reconnaissance de leur particularisme, le droit à pratiquer leur foi, le respect de leurs coutumes ont toutes échouées. La lettre de remontrance, dernière tentative de conciliation, envoyé à son altesse royale, est restée sans réponse: un affront qui bafoue son honneur et celui de ses pairs.
Mathias von Thurn:

Devant lui, la masse gigantesque du Pražský hrad, l'immense château royal de Prague, domine la vieille ville et le pont sur la Vltava . Les eaux grises et boueuses du cours d'eau bouillonnent autour des piles de pierre du pont qui relie vieille ville et ville nouvelle, et reflètent le gris morne du ciel triste qui assombrit ce jour.

L'ensemble massif du château n'a rien perdu de sa superbe, les ans semblants n'avoir aucune prise sur lui, et il trône au sommet de la colline de Hradcany. Des murs épais, dont émergent les tours de l’église édifié par Venceslas, émane une puissance ancestrale, puissance qui abritait le premier fief des Premyslides, la dynastie originelle de Bohême, installée ici vers l'an mil. Cette masse de pierre ne laisse pas indifférent le visiteur.

Les murs du palais :

Les gouverneurs du pouvoir Habsbug s'y trouvent, venus pour soumettre à leur botte la noblesse tchèque. Quelle erreur d'imaginer ces fiers aristocrates ployer sous la morgue Habsburg. La petite noblesse de Bohême est une société vigoureuse, qui a acquis ses lettres de noblesses et ses habitudes belliqueuses dans les combats immémoriaux contres les Turcs Ottomans. Croire que l'on peut la mater aisément est une bévue que Thurn compte bien faire payer à l'empereur et ses sbires.
La grille du château n'est gardé que par quelques sentinelles. Thurn est attendu. Derrière lui, Andreas Schlick , Venceslas de Ruppa, et tant d'autres se bousculent. Thurn est attendu, mais pas avec une délégation aussi importante. Les sentinelles hésitent. La masse d'hommes qui suit Thurn les saisie, les maitrise. On s'empare de leurs arquebuses et de leurs piques. De sous les manteaux sortent des gourdins, des poignards, quelques pistolets à rouets.
Décidé, le burgrave de Karlštejn pénètre dans la cour du château, la délégation musclée sur les talons. Un bref coup d’œil à la cathédrale Saint Vitus. Il n'a guère le temps de s'attarder à l'admirer. Il sait qu'à l'intérieur on trouve des vitraux qui n'ont rien à envier à l'Europe de l'ouest, presque aussi beaux que ceux de la Sainte Chapelle de Paris. Mais Thurn n'est pas là pour ça.


Le voila à l'entrée du château. Il hèle les gardes transis en train de battre le pavé en espérant se réchauffer, tandis qu'un panache de buée se forme devant sa bouche, pénètre dans le bâtiment. Encore une fois, dépassés par le nombre, surpris de la vindicte des visiteurs, hésitants, les gardes sont maitrisés, quelque peu molestés. Dans les couloirs et les coursives, les partisans de Thurn se répandent en courant, prenant position sur quelques points clefs de l'édifice.
En quelques enjambées énergiques et furieuses, semant presque ses comparses, Thurn se retrouve à l'étage noble. Et se présente en personne devant les représentants du roi de Bohème, Jaroslav Borsita von Martinic, Ladislas von Sternberg, Diepold von Lobkowitz, et Wilhelm Slavata.
Les officiels autrichiens restent interdits devant le nombre d'hommes qui accompagnent Thurn. Ce n'est plus une délégation, c'est un parti armée. Poignards et pistolets sortent de sous les manteaux, sont exhibés sous le nez des soldats impériaux, tenus en respect.
Une salle voutée du palais :

Martinic voudrait protester, mais Thurn lui coupe la parole. Il ne s'agit plus d'une délégation, et ce qui s'en suit n'est pas une conversation à batons rompus. La réclamation a pris fin lorsque les nobles tchèques sont entrés en force dans l'enceinte du château. Désormais il s'agit d'un véritable tribunal. L'on coupe la parole aux représentants de Rodolphe, on leur interdit toute argumentation pour se justifier. La morgue et le mépris affiché depuis des semaines se paye ici et maintenant. Thurn écume, enrage, tonne, gronde. Les impériaux n'en mènent pas large, tenus en respect par ces insurgés armés et colériques.
Martinic pourtant fait preuve d'audace, cherche à contester, à rappeler l'autorité divine et indiscutable de son souverain. C'en est trop.
- "ASSEZ ", tonne Thurn ! Vous n'avez cessez de bafouer nos droits édictés dans la lettre de Majesté, contraints nos sujets à renier leur foi, contre leur volonté, et les inculpant pour cette raison !
Thurn se tourne vers ses suivants, clame haut et fort : " Que nous gardions ces hommes vivants, et nous perdrons nos droits, notre foi; car il ne peut y avoir de justice de la part de ces hommes là !"
Dans la grande galerie où se déroule l'altercation, Thurn et Schlik avisent les grandes baies vitrées. Ils se rappellent tous les deux cet épisode, près de deux siècles plus tôt, ou les Praguois révoltés jetèrent par la fenêtre les échevins catholiques qui prétendaient faire abjurer leur foi aux Hussites.

Alors, le sang bout et ne fait qu'un tour dans les veines de Mathias von Thurn.
"Saisissez les ! Ouvrez moi ces foutus fenêtres !"
Les gouverneurs hurlent, crient, supplient, se laissent choir au sol pour échapper à leurs gardiens, vocifèrent, menacent. Rien n'y fait, les insurgés, survoltés, les empoignent, les poussent vers les fenêtres. Alors que les battants s'ouvrent, le froid s'engouffre dans la pièce, pourtant bien incapable de refroidir les ardeurs des insurgés.
Qui précipitent vers le vide leur première victime, Martinic. Un cri de peur "Marie !".
A son tour, Slavata est poussé vers l'abime. Il agrippe ses doigts aux rebords de la fenêtre, se débat, proteste. Mais ses bourreaux sont trop nombreux, trop déterminés. On le meurtri de coups, on frappe ses doigts, on pousse sur ses coudes pour faire lâcher ses bras. Il lâche prise, entrainé dans le vide.
La divine mère de Jesus a entendu l'appel de ses fidèles. Car il n'y a qu'un étage sous les fenêtres de la galerie qui surplombe une petite cour annexe, à proximité des écuries. La miséricorde divine prend des chemins parfois détournés, en l’occurrence la forme d'un tas de fumier entreposé au pied des fenêtres. Martinic, puis à sa suite Slavata, choient dans cet inespéré matelas.
Martinic, le premier à chuter, se redresse tant bien que mal. La chute, en dépit du fumier salvateur, n'a pas été sans horions; les coups reçus n'ont rien arrangés. Il reprend ses esprits, lorsque Slavata tombe à coté de lui. Une tête apparait alors à la fenêtre d'où ils ont étés malproprement jetés. Un cri fuse: "ils sont vivants !" Avec rage, un pistolet est brandi par l'embrasure de la fenêtre, un coup détonne dans l'air glacial, et vient claquer contre les pavés de la cour.
Alors, mus par un réflexe de survie, boitillants, claudicants, meurtris et honteux, les deux gouverneurs prennent leurs jambes à leur coups et détalent sans demander leur reste.

Les dès en sont jetés. Mathias von Thurn le savait, désirait cette rupture, mais maintenant que le point de non retour est franchi, il ne peut réprimer un frisson d'angoisse à l'idée de la suite des événements. Se doute t'il que son geste va embraser l'ensemble du monde germanique, et au delà, pour 3 longues décennies ?
Ce 23 mai 1618 allait mettre le feu aux poudres à l'ensemble de l'Europe. Depuis les confins occidentaux de la Lorraine, jusqu'aux plaines hongroises ou aux landes de Poméranie, les armées et les hommes allaient s'entredéchirer.
SITUATION GENERALE
Ferdinand II, le nouveau roi de Bohème, élu en 1617 roi de Bohème, hérite d'une situation politique peu enviable au sein du Saint Empire Romain Germanique.
Cette mosaïque d'états, de principauté laïques ou ecclésiastiques de diverses tailles, est divisée profondément.
L'autorité de l'Empereur ne s'y exerce que si le monarque en place fait preuve de poigne.
Depuis 1617, Ferdinand a été élu Empereur par les grands électeurs, le désignant du vivant de son prédécesseur, son cousin Mathias, agonisant et n'ayant aucun descendant.
Un siècle plus tôt, le moine Luther avait semé les germes de la discorde. Les theses développées par ce dernier contestaient l'autorité d'une Eglise profondément corrompue, et partant de là, de l'ensemble des princes du siècle.
La Reforme s'était propagée rapidement dans le monde germanique. De nombreux princes adoptèrent le Protestantisme. Ces choix ne révélaient pas uniquement d'une remise en cause de la foi et des croyances.
De basses considérations politiques entraient en jeu: opter pour le Protestantisme, c'était s'affranchir de l'autorité de Rome et de son bras armé, le pouvoir séculier de l'Empire.
Des conflits et des batailles s'ensuivirent. En 1555 la ligue d'Augsbourg stipula que les princes allemands étaient libres de choisir la confession de leur choix, leurs sujets n'ayant qu'a se soumettre "Cujus regio, ejus religio".
Les dignitaires de l'Église catholique (évêques et archevêques) qui s'étaient convertis au luthérianisme durent abandonner leurs domaines fonciers.
Pensant pouvoir restaurer le catholicisme dans un royaume où l'on trouvait de nombreux protestants, le roi de Boheme Mathias provoqua une rébellion chez les nobles de Bohême. Le 5 mars 1618, après que la Ligue catholique eut fait fermer un temple à Braunau et qu'elle eut fait raser une église dissidente édifiée sur les terres de l'archevêché à Hrob, les nobles s'assemblèrent et adressèrent à Matthias une lettre de remontrances ; pour toute réponse, le monarque fit interdire le parlement.
Le 21 mai 1618, les princes rebelles se réunirent au Carolinum de Prague. L'assemblée, d'abord paisible, tourna au tumulte après le discours de Heinrich Matthias von Thurn, comte protestant de Boheme, qui n'admettait pas que le vieux monarque leur batte froid de la sorte.
Deux jours plus tard, sous l'impulsion de Mathis von Thurn, la quasi totalité des dirigeants Tcheques se range derriere lui, biens décidés à rejeter l'autorité étouffante de l'Empereur. C'est la défenestration de Prague.
Mais cet acte de lèse majesté ne pouvait être toléré par Ferdinand. De leur coté, les ligueurs savaient qu'ils avaient franchis le Rubicond. Ils ne pouvaient plus faire marche arrière, et ils désignèrent Frederic V du Palatinat (donc grand élécteur) comme leur roi. Von Thurn pris la tête des armées de Bohème.
S’appuyant sur la Sainte Ligue et sur son cousin Philippe III d'Espagne, Ferdinand II se mit en devoir pour sa part de mater la révolte tchèque et d’éliminer son rival Frédéric V.
La conflagration vient d'éclater. Elle va durer trente ans, faire des millions de morts, dépeupler l'Allemagne du tiers de ses habitants, briser les vieilles alliances, ruiner les économies, bouleverser les équilibres politiques et militaires, et révéler le meilleur, et surtout le pire, des individus, modestes ou célèbres, qui vont y participer de près ou de loin.