"Les habitants des départements du Nord de la France avaient pressenti avant les autres ce qui allait advenir et murmuraient entre eux le soir, dès que les ombres s'allongeaient et que leurs portes étaient closes. Depuis des mois ils voyaient fourmiller des troupes toujours plus nouvelles, qui convergeaient le plus discrètement vers les camps de l'Armée de Boulogne, jamais délaissés depuis 1805. Officiellement, ils venaient maintenir l'ordre aux Pays-Bas, nouvellement annexés. En fait, plus de 130.000 hommes campaient le long des côtes de la Manche, expérimentant une nouvelle méthode de tir en attendant l'embarquement vers l'ennemi honni et à portée de main. Pour réaliser ce rêve, toutes les flottes s'étaient également fondues en une seule formidable armada depuis peu, comptant plus d'une quinzaine de vaisseaux de ligne sortant tout juste des chantiers navals. Leurs noms respiraient la gloire et la victoire, et leurs figures de proue semblaient porter le deuil de l'Angleterre. L'Empire s'était saigné au quatre veines pour ce jour, pour cette puissance navale restaurée, protégé qu'il était par une paix avec les autres grandes nations d'Europe. C'était maintenant, ou jamais. Napoléon avait pris sa décision: l'affaire serait tentée au début de l'été, à la première occasion mêlant beau temps et bonne marée.
Ainsi, par un beau matin de la fin juin 1807, la Grande Armée avec l'Empereur lui-même a sa tête prenait la mer, profitant d'une absence momentanée de la
Royal Navy, habilement attirée hors de sa tanière. L'émotion brûlait les coeurs et la crainte dévorait les esprits alors que les blanches falaises de Douvres paraissaient à l'horizon. Des éleveurs, reconnaissant le pavillon français abandonnaient déjà leurs champs pour aller donner l’alerte. Trop tard: le destin venait de lancer son godet de dés. Mais à qui serait-il favorable?"
