"Drapé dans son ample uniforme, l'homme vint en effet se camper fermement au plein milieu de la scène. Toutes les interrogations et hoquets indignés s'évanouirent lorsque, de ses lèvres, s'échappa bruyamment le mot
"Guerre!". Puis il poursuivit:
"Nos vaillantes troupes ont débarqué à Saint-Domingue"! S'ensuivit un chaos indescriptible, un bourdonnement grondant de conversations animées, où le reste de ses paroles fut noyé.
Ce fut seulement le lendemain, par les journaux officiels, que l'on apprit le pourquoi du comment de la chose. Excédé depuis des années par la contrebande de produits exotiques transitant par l'île et grevant son propre commerce, par les derniers relents de course qu'elle abritait, le gouvernement avait décidé d'agir contre Haïti l'insolente. Ce faisant, il ne tenait là pas compte du fait qu'il n'agissait plus dans sa possession de Saint-Domingue, mais contre un état souverain.
"Qu'importe, la victoire ne s'embarrasse pas de moralité", fut la seule réponse d'une brute galonnée interrogée à ce propos.
C'est ainsi que, sous la protection des canons de l'escadre d'évolutions et de la station navale des Antilles, 15.000 hommes (réunis en secret depuis plusieurs semaines à Cuba et Porto Rico) se répandirent dans l'île, abasourdie par cette attaque surprise. Débarquant sur deux points opposés de la côte, pour désorganiser l'éventuelle défense ennemie, ils entamèrent leur mission d'un pas résolu. L'adversaire préféra se retirer vivement et vint chercher refuge dans le relief montagneux et accidenté central. Aussitôt, les troupes de Porto Rico, organisées en division avec deux régiments métropolitains pour l'occasion, firent mouvement depuis l'extrémité est de l'île; pour les en déloger. Si d'aventure la chose se révélait ardue, les troupes d'occupation de Port au Prince pouvaient leur tendre une main secourable autant que bienvenue...