INTERSAISON
Mais qu'est ce qui m'a pris. qu'est ce qui m'a pris ? J'etais en vacances , tranquille , chez ma belle famille pour Noel , tout se passait bien , on dansait le fado , on bouffait de la morue , on visitait des zoulies campagnes , bref je comprenais rien à ce qu'on me racontait dans la cambrousse lusitanienne , mais bon c'est pas grave , je m'amusais quand meme.Et puis un soir , ma copine étant parti faire du shopping avec ses amies ( normal c'est une fille ) , je me dirigeais d'un pas nonchalant mais néanmoins empreint de résolution vers le troquet du patelin ( normal je suis un mec ) , après avoir toutefois vérifié que madite copine était bien avec ses amies , et non en train de se faire baratiner par un ibérique hirsute.
Ceci fait , je me redirigeais donc vers le débit de boisson , constatant que le soleil verdoyait dans l'herbe illuminante ( ou le contraire...je ne sais ) , et je songeais avec ravissement au chant mélodieux des pinsons , à peine troublé par le patois moins mélodieux des rudes alleutiers portuguais rentrant de leur labeur , la sueur perlant leur front basané.
Je dis et jredis donc , comme le chantait gainsbourg dans you're under arrest , que sur le trottard du bronx minhotien ( région du Nord du portugal ) je recherchais , non Samantha comme le grand Serge , mais plus modestement une chope pour abreuver d'un meme coup ma soif et mon ennui.
Le tenancier était du genre bourru et impavide , un vrai barman de saloon dans lucky luke , très interessant anthropomorphiquement d'ailleurs , de par sa troublante ressemblance avec certains singes africains malheureusement menacés d'éradication. Je pris une bière , puis deux , puis trois , puis j'arretais de compter , sachant par experience que de toute façon viendrait un moment où mon esprit , tout fécond qu'il soit ( normal je suis Coelio ) ne pourrait plus suivre. Dans les vapeurs de l'alcools , comme le chantait Arthur H dans sa méconnue mais néanmoins fabuleuse chanson d'une vingtaine de minutes sur le général de Gaulle , j'entraperçus un respectable autochtone , tout de jaune vétu et qui pleurait à chaudes larmes. Bon coeur au naturel , et rendu hardi par le degré surprenant de cette plausiblement frelatée , je m'approchai du malheureux , ne sachant si j'étais plus apitoyé par ses larmes , ses hideux costumes jaunatres ou son système pileux digne de notre défunte et ô combien regrettée amie l'ourse Canelle. Tachant de lier connaissance avec l'extraterrestre , je me heurtais rapidement à la barriere de la langue , ce qui me géna un instant , mais la race humaine a ceci de beau que certains gestes , non contaminés par la malédiction de Babel , sont compréhensibles par tous nos congénères. C'est ainsi que naquit entre nous une complicité , d'autant plus attachante qu'elle commenca muette. Mais mon nouvel ami , loin de partager mon opinion métaphysique sur la beauté des amitiés silencieuses , se sentit obligé de témoigner sa gratitude en me parlant avec force moulinets de bras. Il va sans dire que je ne compris pas un traitre mot de ses discours , mais , étant dans un jour magnanime , je me contentais d'acquiescer d'un air profond et de lui remplir son verre quand il se vidait ( chose assez fréquente d'ailleurs ). Cette docilité de ma part sembla l'enchanter au plus haut point , ce qui ne fit que confirmer mon opinion de l'inutilité d'apprendre les langues étrangères , l'incompréhension étant le meilleur moyen , pourvu que l'on y ajoutasse un zeste de bonne volonté , de se faire des amis. A la fin , cependant , mon estimé compagnon sembla requérir plus de ma part qu'une bienveillante camaraderie de pochtronnerie , et me regardait d'un air convaincu en me répétant plusieurs fois la meme question , que bien entendu je ne comprenais pas. Sincèrement désireux de complaire à cette honnete alcoolique , je me concentrais de mon mieux , et tentais de comprendre la requete du brave homme , sentant qu'il désirait une réponse. Après une fine analyse, je crus comprendre que ce gentilhomme voulait savoir si j'aimais le cyclisme. Je réfléchis quelques instants à cette épineuse et existentielle question , avant de me donner le droit de répondre positivement à la question , me souvenant distinctement avoir regardé une étape de tour de france il ya 2 ans , mon ordinateur étant cet apres midi là traitreusement squatté par mon dealer de frère.Un visage s'eclaira dans l'oeil torve du vilain , tel un berger galiléen touché par la Grace en venant adorer le Sauveur une froide soirée d'hiver dans une étable assez sordide. Ma copine arrivant , chargée d'une petite cinquantaine de paquets , je tournais les talons , partant en pleine gloire comme Michel Platini en 1987 , année où il arreta , à seulement 32 ans , le football.
Cette nuit là , je m'endormis heureux , conscient du devoir accompli: j'avais fait passer une bonne soirée à ce pauvre hère , Dieu me le rendrait surement.
Je ne me trompais pas... Le lendemain , me réveillant vers les 16h du matin dans les bras de mon aimée et descendant dans un état comateux arafatien je tombais sur la gazette rurale locale et , ô miracle , j'étais en 1ere page. Immédiatement flatté , je compris que ces bons sauvages ( Jean-Jacques Rousseau serait fier de moi ) m'avait reconnu comme l'auteur d'un immortel article sur la transmission lignagière des fiefs périgourdins au Xième siècle ( Revue d'Histoire du Droit , Décembre 2003, pp.124-171 ).Jamais repu de flatteries plus ou moins méritées , j'enquéris ma dulcinée pour qu'elle me traduise l'article du journal , pressé de savoir si le journaliste partageait mon point de vue pénétrant sur les modes de succession wisigoths , et son influence sur le Grand Coutumier de Querci. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque ma Lesbie , aussi étonnée que moi par ailleurs , me lut l'article suivant
" Un nouveau manager pour la LA-PECOL
Americo Silva , directeur sportif de notre équipe cycliste de la LA-PECOL , actuellement sociétaire de deuxième division , a annoncé dans nos colonnes avoir engagé un manager français pour conduire notre équipe lors de la saison 2004 , qui commence dans 3 semaines. Selon Mr Silva " Coelio DelaRoche est un expert reconnu dans le milieu du cyclisme français , et il compte apporter toute son expérience pourle bien de l'équipe.Je me félicite de cette arrivée , qui n'a pu etre conclue qu'au terme de négociations longue de plusieurs mois."
J'ai le regret d'avouer que ma Julia , loin de partager ma légitime fierté , s'empressa d'éclater de rire , et de partir dans des considérations populeuses sur l'ivrognerie des dirigeants sportifs de nos jours. Pour ma part , conservant mon sérieux , je me tournais vers elle , lui demandant ou trouver une FNAC capable de me procurer l'indispensable "Cyclisme 2003-2004"de Stéphane David , histoire de voir un peu à quoi je m'engageais...
Quelques heures plus tard j'étais pret, et je me rendis aussitot au centre d'entrainement de l'équipe , flanquée de ma moitié promue traductrice officielle.M'imaginant arriver dans un vaste vélodrome moderne , avec piscine et jacuzzi , dans lequel une cinquantaine d'athletes remarquables redoubleraient d'efforts avec un zéle aveugle et admirable. Las....tout ce que vis fut un vieux gymnase rafistolé de plastique par endroit , dans lequel une grosse dizaine de bonshommes basanés , probablement le personnel d'encadrement ,bavassaient mollement. M'approchant poliment du 1er oisif , un grand costaud, je lui demandais affablement où se trouvait l'effectif de la LA-PECOL. Cet irascible lusitanien me foudroya du regard , puis me répondit qu'il se nommait Candido Barbosa , leader incontesté de l'équipe de la LA-PECOL , et que les badauds l'entourant constituaient l'ensemble de l'équipe.Gardant glorieusement mon sang froid , je me présentais à tout l'effectif ( avec 12 coureurs on a vite fait le tour ) , mis ces feignants au boulot , et me précipita dans le placard me servant de bureau , pour téléphoner au plus grand magazine mondiale de Cyclisme pour mettre une annonce selon laquelle une équipe portuguaise désargentée mais pleine de bonne volonté cherchait des coureurs pas trop incapables pour pas finir la Le chomage pousse parfois les gens à se bouger.. C'est ainsi que le lendemain , une bonne quarantaine de cyclistes du monde entier , d'age et de réputation fort variables , venaient sonner à ma porte.Ne disposant que de 13 places ( j'avais déja mes 12 farouches Iberiques , et l'effectif maximal autorisé pour un club est de 25 coureurs ) , je leur fis passer une audition digne des émissions de téléréalité de M6 , à la seule différence prêt que j'étais l'unique membre du jury , ce qui , mine de rien , faisais gagner pas mal de temps pour les délibérations.
Au bout de 3 jours , mon effectif était au complet , divers et variés , j'avais essayé de batir l'équipe la plus complète possible , pour pouvoir répondre présent à toutes les circonstances de course. Pour féter cela , je mis le troupeau dans un avion pour Monaco , et je les y laissai peaufiner leur forme ( c'est à dire draguer des starlettes peu farouches ) pendant 10 jours , avant qu'ils ne reviennent frais et dispos pour pouvoir attaquer la saison.
A la veille de la 1ere épreuve de la saison , le Tour Down Under en Australie , je contemplais mon effectif. Tout était loin d'etre parfait , mais en tout cas j'avais la satisfaction de me dire que j'avais à peu près tout ce que je souhaitais , meme si il n'y avait aucune grande star , aucun véritable leader général.
Au niveau des sprinters , catégorie capitale car suscpetible de rapporter beaucoup de victoires , 2 leaders étaient présents : l'irascible Candido Barbosa , le leader traditionnel portuguais , qui présentait l'avantage d'etre très bon en montagne , et donc de pouvoir bien se placer sur les épreuves exigeantes; et le Lituanien Saulius Ruskys. Derrière ces deux hommes , des sprinters de moindre envergure , l'Anglais Julian Winn et les Italiens Denis Bertolini et Nicola Gavazzi étaient susceptibles de rendre des services.
Pour les grimpeurs , l'équipe possédait dès avant mon arrivée 3 coureurs de valeurs , les Portuguais Nuno Ribeiro et Sergio Paulinho ainsi que l'Espagnol David Arroyo. Je leur adjoint le redoutable Colombien Herman Dario Munoz. En plus de ce quatuor majeur , le Portuguais Pedro M. Andrade Oliveira et les Espagnols Yon Bru Pascal Jose Manuel Vasquez Palormo et Angel Casero semblaient capables de faire quelques performances.
L'équipe possédait également quelques solides rouleurs , au 1er rang desquels le vétéran allemand Thomas Liese , coéquipier de Jan Ullrich au sein de la Team Bianchi l'an dernier , très expérimenté et spécialiste du contre la montre ; mais aussi le champion de Pologne Piotr Pryzdaal , l'Espagnol Ruben O.Izpua et David Garcia Dapena , les Portuguais Pedro M. Goncalves et Luis Pinheiro.
Enfin , je n'étais pas peu fier de mes espoirs , de jeunes coureurs très prometteurs , avec l'Espagnol Miguel Indorein , le Slovène Jenez Brajkovic , l'Australien Jonathan Bridge , les Portuguais Hernani Broco et Jorge Torre , et le Néerlandais Mathieu Hejboer.
Le show pouvait débuter...
