Napoléon arriva à Iéna à 14 heures, le 13 octobre, avec la Garde à pied. Il apprit que l'armée prussienne s'était scindée à Weimar en deux grands corps d'armée : l'un, le plus considérable, sous les ordres du Roi et du Duc de Brunswick, avait pris la route de Weimar à Naumburg, et l'autre, sous les ordres du Prince de Honhenlohe, s'était dirigé vers Iéna. L'Empereur, après s'être arrêté un instant au château ducal d'Iéna, gravit, au milieu des vignes, un sentier difficile pour rejoindre Lannes. La ville d'Iéna, construite sur les rives de la Saale, est en effet dominée au nord par un haut plateau qui se nomme le Landgrafenberg. Hohenlohe ne pensait pas que les Français, qu'il savait dans le vallon d'Iéna, pussent franchir les pentes abruptes pour déboucher devant lui.
Arrivé sur le Landgrafenberg, Napoléon mit pied à terre et, inspectant le terrain avec sa lunette, il vit la chaîne de tirailleurs ennemis devant Lützeroda et Klosewitz, fortement occupés, des petits postes devant les bois d'Isserstaedt et de Klosewitz et un camp d'infanterie et de cavalerie sur le Dornberg, éminence située au nord-ouest de Lützeroda et de Klosewitz. Il estima que Lannes devait faire monter tout le Ve Corps et occuper solidement le Landgrafenberg et que la Garde à pied, commandée par Lefebvre, devait aussi y prendre position. Mais il ne paraissait pas possible de faire monter l'artillerie sur le plateau, où quelques bataillons pouvaient à peine se déployer.
Napoléon redescendit à Iéna. Ses troupes arrivaient par des chemins affreux où versaient les caissons. Il remonta sur le plateau et alla reconnaître l'ennemi, seul et à portée de fusil. Le soleil n'était pas couché, quelques coups de feu éclatèrent. Il revient vers les lignes françaises; les sentinelles, en voyant son ombre, crurent à une reconnaissance ennemie et tirèrent sur lui. Il conduisit ses généraux sur les positions qu'ils devaient occuper et, tandis que ses aides de camp et généraux, exténués, s'étaient endormis autour de lui, il étudia ses cartes, les coudes sur une mauvaise table et la tête dans ses mains, et établit son plan de bataille. Tout à coup, il se leva, jeta un coup d'oeil sur les endormis, haussa les épaules et sortit pour inspecter les bivouacs de ses grenadiers.
Les feux étaient maigres, fumeux, l'Empereur écoutait les récits gais et parfois égrillards de ses vieux soldats et s'éloignait en riant de leur attitude ahurie quand il était enfin reconnu. Deux divisions de Lannes prirent position sur le plateau, ainsi qu'une partie de la Garde à pied, mais aucune pièce de canon n'était en vue. L'Empereur, redescendant le flanc de la colline, trouva toute l'artillerie engagée dans une ravine si étroite que les fusées des essieux portaient des deux côtés sur le rocher. Il constata avec colère l'absence du général commandant l'artillerie. Il réunit ses canonniers, leur fit prendre les outils du parc, allumer des falots, éclairant lui-même les hommes épuisés de fatigue qui travaillaient sans se plaindre à élargir le chemin. Il ne se retira que lorsque la première pièce, attelée de 12 chevaux, eut été hissée sans bruit.
La nuit était belle et calme. Les deux armées, face à face, observaient leurs feux; ceux de l'ennemi s'étendaient très loin, les nôtres étaient concentrés sur un espace réduit. Les avant-postes étaient à une demi-portée de canon; les sentinelles se touchaient presque et il ne se faisait pas ou mouvement qui ne fût entendu. Le trajet étant très court, les hommes massés sur le plateau allèrent chercher des vivres à Iéna où ils trouvèrent du vin et du sucre en abondance. Ils remontèrent avec des chaudières et burent toute la nuit "à la santé du Roi de Prusse !"
La situation était dangereuse. L'Empereur paraissait calme, mais les officiers d'état-major disaient entre eux que l'ennemi aurait pu, d'un boulet lancé à la main, traverser toutes les lignes françaises, ce qui était un peu exagéré. Cependant, le lendemain, le premier boulet de canon prussien, passant par-dessus les têtes, alla, fort en arrière, tuer un cuisinier sur sa cantine.
Les corps de Soult et Ney arrivèrent et prirent position ... chez Lannes, la division Gazan fut rangée sur trois lignes à gauche du plateau, la division Suchet forma la droite, la Garde Impériale occupa le sommet. Au cours de la nuit, une gelée blanche suivie d'un brouillard rappela aux soldats la veillée d'Austerlitz. A minuit, Napoléon se retira sous sa tente et s'endormit profondément. Vers 4 heures du matin, il s'éveilla, fit appeler Lannes et donna ses instructions. Le brouillard était épais et, à 6 heures, le jour ne paraissait pas. Les Prussiens tirèrent quelques coups de canon. "Les Prussiens sont enrhumés; les voilà qui toussent. Il faut leur porter du vin sucré !", s'écria un vieux soldat d'Egypte. Lannes reçut l'ordre d'attaquer; la brigade Claparède se dirigea vers Klosewitz dans une brume si intense que, sans rien voir, Claparède entendit très distinctement les commandements des officiers prussiens. Il engagea un feu nourri de mousqueterie et d'artillerie, et le combat commença à 9 heures du matin.
