Le 2 janvier 1925
Chère petite mère,
Ce courrier rapide pour te donner de mes nouvelles (même si tu n’en demandes pas, comme l’a prouvée ta dernière lettre où tu as réussi à parler de toi durant 15 pages sans jamais t’interesser à ce qui pouvait bien m’arriver)
A ce propos, très honnêtement, je me moque des états d’âme de ta voisine, une personne certainement charmante mais que j’ai la chance de ne pas connaître. Tu pourras donc te dispenser de gloser indéfiniment sur elle comme tu l’as fait dans ta dernière missive…
Je sors épuisé de ces fêtes de fin d’année !
Comme tu le sais peut être, une cérémonie des Oscars a eu lieu hier pour fêter les plus belles réussites de la profession. Cela permet de contrebalancer le venin perpétuel balancé par de vieilles rombières aigries divagant sur les stars ou le cinéma alors que leur seul centre d’intérêt reste la balade matinale du caniche tous les jours (enfin te connaissant, j’imagine que tu sors également Puffy le soir pour qu’elle aille uriner sur les chaussures du portier. Puffy et toi vous êtes bien trouvé, tout de même, c’est certainement la chose – je doute que ce soit même un animal - la plus raciste que je connaisse. Avertis moi quand une voiture l’aura enfin renvoyé à l’état mérité de serpillère)
Tu seras ravie d’apprendre que ton fils n’a gagné aucune statuette. C’est un autre studio qui a raflé les 3 prix disponibles (mais comment pouvait il en être autrement vu les œuvres que nous avons infligées aux spectateurs ?)
Pourtant le bilan est plutôt bon. Love Lasso a rapporté autant le petit Groom, soit 90.000$.
Notre 3iéme film axé sur l’horreur, le funiculaire de la mort, a déjà rapporté presque 100.000 $, un beau succès d’estime !
Pour autant tout n’est pas rose … même si nous gagnons de l’argent et que les finances du studio sont florissantes (nous disposons désormais de plus de 200.000 $ en cash), nos œuvres ont la même réputation que les égouts qui traversent la ville.
D’ailleurs c’est bien simple : nos 3 films sont les plus mal notés de tous ceux sortis à Los Angeles depuis 1920 …
Une chose positive, pour la première fois nos scénaristes ont réussi à sortir un scénario valable. Intitulé « la petite prison dans la prairie », il s’agit d’un beau moment d’action ou l’on montre des pionniers s’installer dans la bourgade de Walnut Grove. Ils s’aperçoivent malheureusement que la ville a été construite sur un ancien cimetière indien, et les Sioux viennent venger leurs frères défunts.
C’est sublime. Boudi-Bouda joue très bien la pionnière, tandis qu’en figurant, Kara fait les indiens, les bucherons, la cavalerie et le sheriff à lui tout seul (nos budgets sont encore serrés…)
Une chose étonnante : au moment de tourner, on s’est rendu compte qu’un des 2 techniciens avait tout simplement disparu (et impossible de le retrouver … encore un coup des studios en face !)
J’ai vite écarté les cv sonnant trop étranger comme ces Hitchcock et autres Selznick et dégotté un remplaçant. Je commence à m’interroger également sur notre stratégie : un seul réalisateur, deux comédiens, qu’on met toujours ensemble… le problème avec le cinéma muet, c’est qu’on n’a plus rien le jour ou le public, qui ne peut déjà pas les entendre, ne pourra plus les voir.
Il va peut être falloir qu’on trouve une deuxième équipe pour faire des roulements, ça permettrait à nos 3 larrons de continuer à s’exercer.
D’ailleurs quel travail ils ont fait en prés d’un an ! C’est admirable ! Désormais Kara Iskandar arrive à interpréter un rôle sans se mettre à grogner tandis que Boudi-Bouda n’a plus ce reflexe de montrer ses mollets – l’impudente ! – dés que la caméra est enclenchée.
On continue également à agrandir les studios, ça devrait améliorer de manière générale la qualité du travail.
J’ai entendu dire que pas loin d’ici, Metro, Goldwyn et Meyer ont fusionné leurs 3 entreprises et fondé la MGM. Une direction de 3 personnes, c’est voué à l’échec… et pourquoi pas des studios dirigés par des Japonais, tant qu’on y est ?!
Enfin, je n’ai pas ce problème. Von Aasen Jr me fiche royalement la paix, je ne le croise que très peu d’ailleurs. Il s’est entiché d’une quelconque poule de luxe et ensemble, ils vont miser dans des troquets minables ouverts à l’est, à Las Vegas.
J’ai néanmoins du m’adresser à son père, puisque mes vedettes commençaient à tirer la tronche au vu de leur salaire … une augmentation généralisée devrait me le fidéliser pendant encore quelques années (tout s’achète ici, mère, même la morale et l’éthique, tu adorerais)
Prends soin de tes rides
Ton fils unique,
Samuel Marloufberg