Chapitre IX: 1480-1490
Malgré les douloureuses saignées de la Guerre de Vingt Ans, l'archiduc d'Autriche restait le souverain le plus riche de ce monde. Il pouvait compter sur 89 200 Gulden d'impôts par mois, complétés par d'importantes taxes commerciales annuelles. C'était là tant d'argent que les revenus du roi d'Angleterre et du sultan ottoman réunis ne pouvaient tenir la comparaison!
François III percevait à peu près 56 000 Gulden par mois, celà ne l'empêchait pas de ruminer une vengeance contre les Autrichiens qu'il haïssait plus que tout. Il mit sa fierté de côté un instant et repassa en revue les causes de la défaite française qu'il avait tant déplorée. L'excellent entraînement dont bénéficiaient les soldats autrichiens lui apparut comme la cause évidente de diverses défaites. Il se résolut à acheter les services de capitaines mercenaires traitres pour pouvoir obtenir des informations de première main. Une fois qu'il sut ce qu'il voulait, il appliqua les mêmes méthodes à l'infanterie et la cavalerie françaises. N'ayant pas suffisament d'autorité pour s'imposer à la fois face à ses généraux et à ses nobles, il dut en contrepartie renoncer à instaurer une administration plus efficace: le pays restait en proie à la corruption et aux malversations en tous genres.
L'Empereur eut à peine le temps d'initier quelques contre-mesures, comme la création de nouveaux régiments, que la mort le rattrapa durant une revue de troupes. Pris d'une faiblesse subite, il tomba à genoux dans la neige et succomba dans les instants qui suivirent, comme frappé par la foudre. Son fils Alexander reprit les rênes du pays sur-le-champ. Profitant de cette opportunité, il intégra le comté de Thuringe à l'archiduché et éleva les terres prises à l'archévêché d'Aquileia au rang de comté. Les électeurs du Saint-Empire le réélirent avec joie, car ils étaient toujours bien pourvus en cadeaux autrichiens et pouvaient compter sur une assistance militaire de premier rang. Les principautés plus modestes étaient elles bien mécontentes de la disparition de nombreux états indépendants au sein des frontières de l'Empire, et attribuaient une part importante de la responsabilité aux Habsbourgs. En conséquence, l'acclamation traditionnelle du nouvel Empereur à Mayence après le couronnement et l'onction fut glaciale. Alexander de Habsbourg était sourd à ces avertissements: jamais aucun des siens n'avait eut pouvoir plus grand!

Il accompagna en premier lieu la reconquête des marchés vénitiens, mais fut bien vite rappellé à des affaires plus pressantes lorsqu'il eut vent de la remise sur pied des armées des Francs. Des espions avaient rapporté que des villages entiers s'étaient vus rafler leurs hommes pour servir dans la milice, et que le Roi de France était très occupé à parcourir le pays pour rappeller à ses vassaux leurs obligations. Comment François III avait-il pu réunir en aussi peu de temps les moyens financiers pour parachever la reconstruction de ses armées, pourtant intégralement annihilées durant la Guerre de Vingt Ans? La réponse était aussi simple que déroutante: il avait fait diminuer par paliers la valeur des monnaies ayant cours en ses terres, faisant baisser le taux de métaux précieux contenus dans chaque pièce, non sans omettre de d'abord payer ses dettes avec, comme s'il s'agissait de l'ancienne monnaie, bien plus précieuse. Ce jeu dangereux pouvait déséquilibrer toute l'économie rurale: les riches paysans n'étaient pas au fait de tels changements aussi rapidement que les bourgeois et encouraient le risque d'être payés dans une monnaie quasiment obsolète pour des biens eux bien réels. François III avait misé et hypothéqué l'avenir de son royaume. Le fait était pourtant là: la France montrait à nouveau ses dents.
Les troupes autrichiennes furent occupées bien plus loin à l'Est. La Reine de Castille réclamait une déclaration de guerre envers les émirats zaporogues, comme le stipulaient les articles du traité d'alliance. Ferdinand Sulerzycki Leazow emmena un corps expéditionnaire vers les terres hostiles de Crimée et du Caucase pour protéger les chrétiens oppressés par les successeurs de la Horde d'Or. Il accomplit sa mission vite et bien, la coalition ne mit que quelques mois pour forcer ses ennemis à se soumettre à sa volonté. En décembre 1483, l'Autriche se vit verser un tribut de 100 000 Gulden et garantir la protection des croyants.

Une excommunication du comté de Milan fit resurgir un court instant l'idée d'une guerre en Italie, mais Alexander se refusait à mettre en jeu le dense tissu de relations dynastiques qu'il s'était éfforcé de créer à la mort de son père. Il voulait apaiser les dignitaires de l'Empire, un vaste projet qui ne pouvait souffrir une provocation telle qu'une nouvelle expansion autrichienne.

Les efforts de paix furent bien vite enterrés. François III le furieux avait remis à l'épreuve l'allégéance des Habsbourgs et lâchement attaqué le comté de Frise! Les pantins du roi se pressèrent de suivre le mouvement: bientôt l'Orléanais, la Lorraine et la Provence avaient imité leur maître. Courageuse fut Mayence, qui refusa d'entrer en guerre, opportuniste la Suisse, qui se joignit à celui qu'elle combattait il y a encore 5 ans. Oldenburg soutint son voisin vacillant par les armes. Alexander Ier n'avait pas vraiment le choix, il réitéra son voeu de protéger les membres de l'Empire, se signa et envoya une missive aux Francs, leur signalant l'état de guerre.

L'archiduc se trouvait en Flandres Autrichiennes et mis en pièce un maigre corps franc qui s'avisait d'assiéger Anvers. Le reste des armées devait se regrouper sur le Rhin et se placer sous le commandement du prince Leazow. Pour vaincre les plus grandes armées françaises, il faudra sans aucun doute rassembler un nombre de troupiers encore jamais vu! Près de 100 000 ennemis grouillaient aux frontières de l'Empire ...
Après quelques démêlés courts et sanglants, l'Autriche semblait déjà prendre l'ascendant. 7 000 épéistes et archers avaient trouvé la mort en tentant de franchir le Rhin. La première bataille décisive eut cependant lieu en Flandres, près de la localité d'Hazebrouck. François III y infligea une rude défaite à l'armée impériale d'Alexander, massacrant presque 8 000 lanciers de Souabe au détour d'une embuscade manquée. L'Empereur était forcé à la retraite. Apprenant ceci, le Landgrave de Hesse se joignit aux ignobles Francs, trahissant l'Empire en temps difficiles!

A priori, le Landgrave de Hesse voulait s'approprier les possessions autrichiennes de Thuringe. Prises de court, les armées autrichiennes ne pouvaient se permettre un détour chez leurs nouveaux ennemis, car les sièges des cités d'Allemagne Centrale s'annoncaient longs et difficiles. Alexander Ier tentait de sauver sa troupe et s'enfuyait par la Zélande vers les contingents du prince Leazow. Ce dernier avait déjà rassemblé une bonne part des régiments impériaux dans l'armée du Rhin, et fonça à la rencontre du général François du Fournay à Cologne. Les lourds cuirassiers brisèrent en un rien de temps les carrés d'infanterie francs, semant la pagaille parmis un corps de bataille visiblement dépassé par les évènements. Les maigres forces montées que du Fournay pouvait jetter dans la brèche ne suffirent pas à endiguer les cavaliers fous furieux, déjà proches des chariots de ravitaillement. Les régiments de miliciens sombrèrent bientôt dans un chaos indescriptible, que les Croates mirent à profit pour disperser ce qui restait de soldats en face. La victoire fut totale, 15 régiments français y restèrent.

Tandis que le prince polonais fanfaronnait encore et organisait des banquets en masse, le prince-électeur du Palatinat montra son véritable visage et nous déclara la guerre! Le Brabant refusa de suivre son allié, tandis que la Castille renouvela nos voeux d'alliance. L'armée palatine était dans un misérable état, ainsi Ferdinand Sulerzyicki Leazow put chercher la bataille immédiatement après l'entrée en guerre, battant à platte couture Franz Ludwig Ier en ses terres. Un corps entreprit d'assiéger les forteresses de Landau et Kandel, tandis que l'armée du Rhin repartait colmater des brèches à la frontière française.
Ces évènements et d'autres mirent gravement en danger la suprématie des Habsbourgs dans l'Empire. Seul le duc-évêque de Würzburg était encore prêt à voter pour le futur archiduc en cas de mort prématurée d'Alexander ...
Les forces restantes du duc palatin furent détruites par l'armée des Habsbourgs, revenue d'une courte campagne en Suisse où elle avait soumis le canton de Schwyz. Tout le Palatinat fut occupé en un tour de main, et son souverain forcé à payer 775 000 Gulden à l'Autriche pour garantir une paix immédiate. Sans armée, Franz Ludwig ne pouvait plus rien faire!
Alexander Ier n'avait finalement pas rejoint le prince Leazow, qui avait beaucoup de mal à nourrir toute sa troupe et ne souhaitait pas de renforts. Il assiéga donc les terres hessoises de Westphalie, tablant sur une paix tout aussi rapide qu'avec le Palatinat. Malheureusement, le prince Leazow fut battu à platte couture par le Roi des Francs à Trèves, ouvrant ainsi la porte à une invasion des territoires rhénans.

Les armées amies se désagrégeaient à un rythme inquiétant. Leur intervention était nécessaire partout et elles menaçaient de céder sous la force du nombre. Aucune aide directe ne pouvait être apportée à la Frise, qui fut annexée en décembre 1485 par l'impitoyable François. Incapables de repousser les Francs sur le Rhin, Alexander et Leazow choisirent de soumettre la Hesse avant de défier à nouveau la suprématie française. Le petit territoire du Landgravat de Hesse était un avantage décisif pour une opération pareille. Après l'occupation de Kassel et de la Westphalie, le landgrave était prêt à de grandes concessions.
La ville de Cologne reprit de ses droits et fut reformée comme royaume. Alexander s'empressa de lier les deux dynasties par un mariage. La campagne de Hesse avait donné l'occasion à l'armée du Rhin de se refaire une santé. Des révoltes de tout bord avaient ralenti la progression française, une incursion pouvait s'avérer juteuse.
Les Flandres Autrichiennes, la ville de Koblenz et l'archévêché d'Alsace étaient tombés, mais le prix de ces conquêtes était l'épuisement de la troupe. Les Lorrains furent bousculés à Fribourg, sauvant de justesse la ville à bout de souffle après un long siège. Le margravat de Bade fut libéré de ses 2 000 occupants, et en février 1486, François III souffrit une violente défaite à Durlach, où il perdit un tiers de son armée.
Une fois l'armée royale forcée à se retirer, Alexander et son armée impériale purent reprendre le contrôle de la situation. Les cités rhénanes préféraient de loin sa tutelle que celle du cruel roi franc. La reconquête de Koblenz et de Worms fut une véritable promenade, les bourgeois assassinèrent les quelques gardes francs et présentèrent les clés de la ville à leur empereur.
Les Helvètes accourus au secours de leurs alliés furent repoussés avant autant d'aise que François III, revenu à la charge. La guerre pouvait à nouveau être portée en terres ennemies! La Lorraine connut la première le sort peu enviable d'être la cible des pilleurs autrichiens. Trois armées échouèrent à libérer le pays de ce fléau.
En ce qui concernait les terres héréditaires autrichiennes, une garde impériale avait été levée à Vienne en vue de battre l'un après l'autre les régiments épars qui avaient transité par mer et terre vers les possessions méridionales de l'Autriche.
Les mercenaires de Charles III de Lorraine purent être contrés à Fribourg, ôtant à l'impétueux duc ses dernières troupes. Une série de victoire empêcha toute initiative française, jusqu'a ce que l'armée impériale dut battre en retraite face au roi ennemi en Champagne, incapable de détruire les restes des régiments vaincus auparavant en raison de renforts massifs venus d'Île-de-France. Le rapport de force devenait cependant plus favorable à l'archiduc: 66 000 Francs s'opposaient à 52 000 soldats venus des quatre coins de l'Empire.
Les membres du Saint-Empire avaient d'ailleurs de bonnes raisons de haïr derechef François en cette année 1486: il s'était permis l'insolence incomparable d'annexer le vénérable comté d'Oldenburg! L'allié de la Frise avait payé cher sa loyauté. L'Empereur se devait de les venger.
Les efforts pour fournir une armée de premier rang à l'archiduc se multipliaient alors que la situation était indécise sur le Rhin. Une bureaucratie professionnelle et plus libérée de considérations népotistes améliora nettement le revenu des impôts. L'argent était une ressource fort prisée, il fallait offrir des primes à l'engagement de plus en plus fortes pour attirer les jeunes hommes dans le métier des armes. La gigantesque bataille de Trèves coûta à elle seule plus de 15 000 hommes à l'Empereur!
Les combats restaient rudes, les généraux Philippe de Beaugency et François du Fournay arrivaient avec des régiments frais et mettaient à mal l'armée du Rhin et l'armée impériale. Après d'innombrables batailles, le status quo put être rétabli, non sans obliger les bélligérents à se ressourcer dans des quartiers d'hivers situés dans des villes amies.
Les années 1487-1488 n'apportèrent pas plus d'évènements décisifs. 27 batailles et d'innombrables escarmouches ne firent que confirmer que les deux adversaires se valaient. L'Autriche tirait son épingle du jeu en détruisant bien plus de régiments isolés, à peu de frais. La France gardait en otage les Flandres Autrichiennes, Oldenburg, la Frise et une à deux villes rhénanes. Quelques révoltés osèrent s'interposer entre les deux feux et furent broyés sans plus de considérations.
Le mois de juin 1488 vit la ville de Worms changer trois fois de mains! En septembre, les Francs semblaient très affaiblis après la perte d'une douzaine de régiments engagés dans des opérations mineures. À Trèves, le prince Leazow écrasa la plus grande armée française, capturant près de 8 000 hommes. L'Orléanais avait particulièrement souffert lors de cette bataille et n'était plus en mesure d'envoyer de nouvelles troupes pour soutenir la France. Philippe de Beaugency dut concéder sa défaite à Metz en octobre, mais François renversa la situation en arrivant à la tête d'une armée de chevaliers. Encore une fois, la guerre se prolongeait sans résultats.
Ce ne fut que grâce au génie de l'Empereur que François III put être acculé aux sauvages forêts du Luxembourg en plein hiver et être forcé à la reddition. Abandonnant ses hommes, il s'enfuya vers Liège pour lever une nouvelle armée. Les troupes fraichement recrutées furent néanmoins interceptées par le prince Leazow, qui fit en peu de temps une dizaine de milliers de prisonniers. Le siège des forteresses du Brabant put être mené à bien grâce à ces diversions. La balance recommençait à pencher en faveur de l'Autriche.