Les avances prussiennes aux petits états allemands bordant le Rhin solidifiaient considérablement les relations des membres du Saint-Empire Romain Germanique, jusque là plutôt fragiles et surtout caractérisées par une hostilité économique très virulente. Tout doucement, l'idée d'un "bloc continental" allemand faisait son chemin. Bien sur, aucune principauté n'avait l'intention d'abandonner son indépendance. L'idée des "libertés allemandes" était bien trop profondément ancrée dans les moeurs depuis le plus haut Moyen-Âge. La dernière grande tentative de restreindre leur autonomie s'était soldée par l'atroce guerre de 30 ans, toujours présente dans les esprits des habitants d'Europe Centrale, qui y avaient subis des dévastations sans précédent.
L'Autriche était la seule puissance capable de briser la tutelle encore limitée et aux dehors amicaux de la Prusse. Le Württemberg restait anxieux et froid vis-à-vis de toute offre prussienne, allant même jusqu'a s'allier à l'Empereur pour éviter toute mauvaise surprise. Le développement économique rapide de son grand voisin ne laissait pas beaucoup de choix à Léopold. Soit il laissait faire et acceptait ainsi à terme de se soumettre au nouvel ordre, soit il intervenait sur-le-champ. La seconde option paraissait être la plus évidente, encore aurait-il fallu disposer d'une bonne armée. Le trésor de l'Empereur ne regorgeait pas vraiment d'argent, les provinces d'Autriche et de Hongrie avaient déjà été soumises à d'excessives saignées pour obtenir suffisament de soldats lors des deux guerres précédentes. Restait l'atout des provinces balkaniques. Les formidables soldats qui s'y laissaient recruter avaient déjà fait leurs preuves maintes fois, que l'on se souvienne seulement des Croates, devenus synonymes de cruauté et de massacre un siècle auparavant. Léopold comptait sur eux et d'autres, pris son courage à deux mains et déclara la guerre à la Prusse. Il avait auparavant reçu des signaux positifs du Württemberg, des Provinces-Unies et de Pologne-Lituanie, ce qui le laissait espérer bien des choses. Les dés étaient jetés.

La vindicte populaire entraîna le faible souverain de Pologne-Lithuanie dans la guerre, mais le roi du Württemberg, plus raisonnable, préféra attendre d'observer l'évolution de la guerre. Les Provinces-Unies continuaient bien sur la guerre, bien qu'elles ne pouvaient pour ainsi dire rien faire à l'encontre de la Prusse, le Royaume-Uni se chargeant de sécuriser les nombreuses routes de commerce de son allié.
La garnison de Potsdam venait tout juste d'accueillir un nouveau régiment de cuirassiers lorsque les hostilités éclatèrent ...
Sabre au poing, ils quittèrent la ville sous les hourras tonitruants de la population. Personne ne doutait d'une nouvelle victoire face à l'Autriche, les succès des précédentes années galvanisaient l'intégralité des sujets prussiens, qui voyaient dans l'ascension de leur royaume au firmament des grandes puissances le résultat d'une volonté divine.
Pas question pourtant pour les généraux aguerris d'attendre l'arrivée de ces formidables troupes pour passer à l'offensive. Von Anhalt-Dessau, stationné à Munich, leva le camp sans attendre les instructions du ministre de la guerre et marcha vers Vienne. C'est ce qu'il avait convenu en temps de paix directement avec la reine.

Son expérience et son caractère lui permirent d'attendre la capitale autrichienne en moins de deux mois, et ce en plein hiver! Il résista à la tentation de piller les richissimes régions de Styrie et de Carinthie, Vienne était son but et rien ne pouvait l'en distraire. Aucun détachement n'était encore arrivé des Balkans et c'est avec un grand étonnement que les Habsbourgs apprirent la présence de l'armée von Anhalt-Dessau à quelques lieues seulement de la Hofburg. Des millices civiles furent armées en toute hâte et les régiments de garnison mis en alerte. En tout et pour tout, deux régiments de ligne, un régiment de milice montée, un détachement de pandours, la garde civile de Vienne et un nombre incalculable de volontaires de la dernière minute avait pu être rassemblés pour faire face aux Prussiens. Malgré ces efforts, une grande partie des troupes autrichiennes était presque sans valeur. Les bourgeois volontaires étaient sans entraînement militaire, ne savaient pas ou à peine former une ligne, disposaient de mousquets surannés et de peu de munitions. Le salpêtre avait été gratté partout dans la ville, mais la pénurie demeurait. Seul un miracle pouvait sauver la ville ...

La bataille fut courte: les régiments réguliers se virent pris à partie par des grenadiers assoiffés de gloire, les bourgeois fuyèrent après avoir encaissé plusieurs salves de mousquets dévastatrices. La chute de Vienne vit bien peu d'actes d'héroïsme!
La défaite des forces "régulières" ne mit pourtant pas fin à la résistances des sujets de l'Empereur. La plèbe grondait et montrait le poing fermé aux Prussiens défilant fièrement. La situation dégénéra à plusieurs endroits de la ville à tel point que l'armée se mit à tirer dans la foule, occasionant des centaines de morts. La haine contre les troupes protestants n'en fut qu'accrue, pas un jour ne passa sans une nouvelle d'un officier prussien assassiné dans une sombre ruelle où un petit groupe de soldats saouls tués durant leur sommeil d'ivrogne.

Von Anhalt-Dessau ne comptait pas se laisser freiner pour autant, il ne laissa qu'une petite garnison à Vienne et chercha l'affrontement à Budapest qu'il pensait faiblement défendue. La bataille de Vienne avait été une véritable promenade, les premiers rapports n'indiquaient que 61 morts et quelques centaines de blessés. La ligne ennemie avait été éradiquée par la force combinée de l'artillerie et des mousquets plus modernes (maniés de plus par des mains expertes). Le moral autrichien avait été brisé en un rien de temps, aucun succès initial n'avait pu le lever, ne serait-ce que marginalement. Le vieux général comptait faire de même dans la capitale du Royaume de Hongrie. L'armée épuisée par la longue marche qui l'avait propulsée de Bavière en terre ennemie reprit le chemin, et profita d'un temps anormalement doux pour la saison. La neige était rare et le soleil saluait chaque jour la troupe.
Budapest, c'était avant tout l'important centre urbain d'un royaume composé essentiellement de minuscules bourgades, les unes plus distantes que les autres. Ces terres étaient depuis longtemps sujettes à d'incessantes incursions des Ottomans, avides de pillages et de proies chrétiennes. La noblesse hongroise était tout à fait rôdée à l'art de la petite guerre et maitrisait à la perfection les coups de mains, les raids de cavalerie et les embuscades. À l'exemple de la Pologne, beaucoup de troupes étaient montées. Des volontaires de la République des Deux Nations avaient tôt fait de rejoindre leurs alliés et formèrent de précieux escadrons d'uhlans. Équipés de lances, ceux-ci pouvaient tout à fait prendre à partie la cavalerie régulière des puissances européennes. Les Ottomans les détestaient autant qu'ils les respectaient.
De fait, les forces armées faisant face aux hommes de von Anhalt-Dessau étaient dans leur majorité des cavaliers, L'infanterie était composée essentiellement de milices levées
ad hoc.
Dès l'aube un intense duel d'artillerie secoua les collines hongroises. Les canons étaient égaux en nombre, mais les Prussiens disposaient de plus d'entrainement et avaient déjà fait le coup de feu maintes fois. Ainsi, les canons hongrois furent réduits au silence avant que les autres armes n'en viennent à s'affronter. Von Anhalt-Dessau avait bien compris qu'il n'avait rien à gagner à sous-estimer les uhlans polonais, et pris avantage du manque de mordant des artilleurs hongrois en ordonnant de former le carré à son infanterie. Ses dragons et hussards protégaient l'artillerie, désormais prête à tenir sa position à l'aide de tirs de mitraille si le besoin s'en faisait sentir.
Les uhlans s'en prirent plutôt aux lignards, inconscients des avantages qu'offraient la formation en carré et de la précision des tirs prussiens. Ils ne connaissaient que les troupes sans discipline de la Sublime Porte, subtiles lorsqu'il s'agissait de se battre dans les montagnes et forêts, mais incapables de tenir quand la cavalerie les chargeait en terrain ouvert. Les princes de Hongrie apprirent à leur dépends l'art de la guerre nouveau enseigné en Europe Centrale. Les charges à la lance se brisèrent les unes après les autres sur les solides carrés, sans cesse reformés et dénués de flancs vulnérables. Que n'auraient pas provoqués comme dégâts quelques boulets ronds bien placés dans cette masse compacte de chair et d'acier! Les pièces de bronze s'étaient tues depuis longtemps, et le massacre pris son cours ...
Au soir la fine fleur de la cavalerie de l'Est était tombée sur le champ de bataille, et les artères de Budapest investies par les lignard épuisés.
L'Autriche était momentanément à terre et ne pouvait qu'attendre les renforts des Balkans, son centre névralgique lui avait été arraché de vive main par le fulminant général prussien. La menace la plus directe pour la Prusse résidait désormais dans l'avancée lituanienne qui se manifestait aux abords de Varsovie. Josef Niebuhr avait eu l'ordre de protéger les frontières et de livrer bataille sur le Bug ...

Celui-ci s'exécuta, envieux des exploits de son camarade et collègue plus au Sud. Sans couverture de cavalerie, il s'avança dans les vastes forêts dominant la frontière pour chercher son ennemi. Ses troupes étaient inférieures en nombre et en qualité, mais il ne le soupçonnait pas un instant. Bouillonant de rage lorsqu'il vit ses premiers régiments de ligne prendre la fuite, il prit la tête d'une charge de cavalerie contre l'artillerie polonaise qui taillait en pièces son infanterie. Des irréguliers en maraude dans un fossé tuèrent son cheval avec quelques tirs bien placés, Niebuhr fut écrasé sous le poids de la bête mortellement blessée et succomba peu après. Toute l'armée fuyait désormais, laissant le chemin vers Varsovie ouvert à tout envahisseur.
En peu de temps, les perspectives de victoire rapide pour la Prusse s'étaient considérablement assombrie. Beaucoup de véterans étaient tombés sur le Bug, seuls quelques régiments squelettiques et les cuirassiers de Potsdam défendaient Varsovie, qui ne tarda pas à être assiégée par Pavel Lempicki, le général qui avait obtenu la tête de Niebuhr.
Un noble de Prusse Occidentale tentait d'amener quelques renforts vers l'ancienne capitale polonaise, deux régiments levés à ses frais. Le chemin ne fut pas sans complications, et c'était là bien peu d'hommes pour une bataille aussi importante. Ce ne fut qu'en octobre 1726 qu'Emanuel Achenwall arriva en vue de Varsovie ...