A toutes les gloires de la France.

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Emp_Palpatine
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

Le 28 mai - 3ème partie

Hésitations de la Duchesse d'Orléans et du Duc de Nemours. Elle décide de se rendre à la Chambre avec ses enfants. Etat d'esprit à la Chambre. La nouvelle de l'abdication provoque l'anarchie. Légitimistes de conviction et radicaux à la curée, frayeur des modérés. L'offensive contre la régence. L'arrivée de la Duchesse d'Orléans, protestation de l'ex-majorité légitimiste. Débats et la Lieutenance Générale au Comte de Chambord mise aux voix.

Alors que Louis-Philippe avait abdiqué et qu'il quittait les Tuileries, nous y reviendrons, la Duchesse d'Orléans, que les dynastiques considéraient comme la régente de fait et la régente imposé par les circonstances, se voit délaissée de tous. Quelle preuve du délitement du pouvoir que le jeune chef de l'Etat en titre et sa régente abandonnée de tous dans un palais où, déjà, les balles sifflent. La Duchesse voulut, à l'origine, rester aux Tuileries et ouvrir les portes à l'émeute, espérant sans doute attendrir la foule comme, en son temps, Anne d'Autriche. Le Duc de Nemours, avisé de la volonté de la Duchesse d'Orléans, fait le siège de sa belle-soeur et finit par la convaincre de renoncer à un projet aussi dangereux.
Ses projets son plus rationnels : faire quitter au jeune roi et à la régente la capitale, au besoin juchés sur des caissons d'artillerie, et se réfugier au Mont Valérien ou à Saint Cloud; laisser Paris à l'émeute et laisser le temps à la France de venir à la rescousse des institutions.

Alors que Nemours s'attèle à la préparation du convoi royal vers une des places fortes, une délégation de M. Odilon-Barrot, président du conseil en titre, arrive. Ayant appris l'abdication, le président du conseil en titre se décide à agir et envoie ses émissaires exhorter la Duchesse d'Orléans. Chez lui, le souvenir de 1830 et la confiance envers le peuple de Paris sont vibrants et il appelle alors la Duchesse à se rendre à l'Hôtel de Ville avec le jeune roi.
Romantique, libérale, pleine d'imagination et de courage, Hélène d'Orléans fait sienne immédiatement l'idée et demande même que l'on prépare un cheval de dragon, annonçant qu'elle montera sans selle de femme, prête à frapper les imaginations. Effrayé, son entourage la met en garde et la supplie de reconsidérer son projet : l'Hôtel de ville, au main de l'émeute, est trop dangereux.
"Alors, la Chambre" propose alors la Duchesse. L'idée plait. On annonce déjà aux grilles des Tuileries "Vive le Comte de Paris, Roi des Français! Vive la Duchesse d'Orléans, régente". La foule alors présente ne fit pas mauvais accueil à cette nouvelle. Tout semblait encore possible.
Au bras d'un officier de la Garde Nationale, la Duchesse d'Orléans et ses deux enfants se mirent en route vers la Chambre.
Quand Nemours revint d'avoir préparé le convoi, il trouva la Duchesse partie et, pour ce prince, ce fut un coup terrible : tout était perdu.
Il se hâte alors pour la rattraper, tout en donnant des ordres pour accroître la protection de la Chambre. Quand il arrive aux grilles du Palais-Bourbon, il est trop tard : elle est déjà entrée.

Qu'attendre de cette Chambre? Dissoute la veille, elle n'aurait même pas dû être en session, en attendant les futures élections. Mais les députés, furieux d'une dissolution comprise comme une pénitence pour un péché qui n'était pas le leur, excités par l'émeute et le croulement du pouvoir, s'étaient d'eux-mêmes agrégés à la Chambre dès midi.
Y règne un souffle d'effarement et d'extrême agitation. Le vent de déroute qui régnait aux Tuileries ne les avait pas épargnés. Dans l'épreuve, on n'y voyait presque aucune trace de ces convictions et de ces fidélités qui se raidissent contre la mauvaise fortune, prêtes à tous les dévouements et à tous les sacrifices. Chaque minute abattait davantage les courages et excitait un peu plus les appétits en annonçant un nouvel outrage.

Sentant frémir les fondations du régime de Juillet, les Légitimistes de conviction commençaient déjà à roder autour des institutions moribondes. La première idée n'était que d'utiliser l'émeute pour se venger de l'éloignement de Berryer. Les nouvelles venues des Tuileries allaient provoquer la tempête. Alors que la séance, houleuse, empêtrée dans les invectives et les débats, était suspendue arriva la nouvelle de l'abdication de Louis-Philippe. Ce fut, décrivit un témoin, une goutte de sang tombant dans un bassin de squales. La séance reprit dans l'anarchie la plus complète.

A gauche, les radicaux, rejoints par un faible nombre de libéraux ex-dynastiques, en appelaient à un gouvernement provisoire. C'était surtout dans l'ex-majorité que le chaos fut manifeste : le parti Légitimiste se scindaient entre légitimistes de conviction, triomphants à l'idée de venger 1830, et légitimistes de rencontre, ceux qui s'étaient fait élire sous la bannière de la fermeté et de l'ordre pour qui la question dynastique n'avait guère d'importance. Ceux-là, comme l'écrasante majorité des Orléanistes et des Libéraux dynastiques, se trouvaient paralysés devant l'abîme menaçant l'ordre établi.
Avec la complicité manifeste de Coelion, président de la Chambre et Légitimiste de conviction, l'offensive ne tarda pas. Il était évident que la régence serait confiée à la Duchesse d'Orléans ou, peut-être, au Duc de Nemours. La Loi, à la mort du Duc d'Orléans, était restée évasive sur la question, de la volonté même de Louis-Philippe. Le vieux Roi n'avait pas imaginé alors que la régence serait discutée en de telles circonstances. C'était un cadeau inespéré pour les Légitimistes et les radicaux. D'une seule voix, leurs orateurs attaquèrent l'idée de la régence, critiquant l'unilatéralisme des Tuileries - on ignorait alors que Louis-Philippe, même dans le naufrage, n'avait pas donné de consignes pour la régence-, exigeant que le choix revienne à la représentation nationale.
Berryer restait impassible et silencieux, ne prenant pas part aux débats. Au centre, on balbutiait et la défense des institutions se fit hésitante et peu convaincue.

Il est une heure et demie, quand la duchesse d'Orléans entre dans la Chambre, tenant par la main ses deux fils, suivie de plusieurs officiers et gardes nationaux. Elle est vêtue de deuil, et son voile à demi relevé laisse voir sa figure pâle et ses yeux rougis par les larmes. Une partie de l'assemblée, attendrie par ce spectacle, se lève et pousse des acclamations répétées: «Vive la duchesse d'Orléans! vive le comte de Paris! vive le Roi! vive la Régente!» La princesse et ses enfants prennent place sur des sièges que le président fait disposer en hâte dans l'hémicycle, au pied de la tribune. Presque aussitôt après, arrive le duc de Nemours qui s'est frayé, non sans peine, un chemin à travers la foule obstruant déjà toutes les issues. Il presse vainement la duchesse d'Orléans de s'en aller. La voyant résolue à rester, il demeure auprès d'elle pour la protéger et pour partager ses périls. En même temps que la princesse et son escorte, beaucoup de personnes étrangères à la Chambre ont pénétré dans la salle, entre autres les délégués du National. C'est le commencement d'une invasion qui ne pourra que grossir. Si donc l'on veut faire quelque chose, il faut aller très vite, profiter de l'attendrissement du premier moment, ne pas laisser aux envahisseurs le temps de recevoir des renforts et d'agir.

Image
La Duchesse d'Orléans à la Chambre.

Hélas, la stupeur et le respect de la veuve, de la princesse et du jeune prince ne durèrent pas. Si la droite modérée et la gauche dynastique avaient tu leurs critiques, les blancs de conviction, forte minorité à la Chambre, redoublèrent d'effort. L'heure n'était pas, pour eux, à rééditer 1830 et refaire un roi de l'émeute. "Eh quoi, disait l'un des orateurs, cette dynastie va-t-elle nous rejouer l'émeute à chaque changement de règne?"
La Président de Coelion, au perchoir de la chambre, redoublait de finasseries, de subtilités du règlement, de rappels à l'ordre pour amener le vote. Pendant ce temps, alors qu'elle espérait la proclamation rapide de la régence et de son fils, la Duchesse d'Orléans, de plus en plus abattue, se voyait l'objet de dérisions, de contestations, d'agressions. L'émeute grondait au dehors, la monarchie tremblait sur ses bases et, alors que l'urgence voulait que l'on se contentât de ce que l'on avait sous la main, les députés soldaient les comptes des 18 dernières années. Habilement manœuvrée par Coelion, la Chambre se résolut finalement à voter. Le président mit d'abord aux voix la proposition suivante :
"La représentation nationale constate la vacance du Trône ". Elle fut votée à la quasi unanimité.
Ensuite, décidé à frapper, il mit aux voix un amendement venu de la droite de la Chambre : "Considérant la vacance du Trône, S.A.R Henri de Bourbon, duc de Chambord, est appelé à la Lieutenance Générale du Royaume."
Les mots trahissaient la volonté de se venger, enfin, de la substitution de 1830 jusqu'en en imitant les formes.
Modifié en dernier par Emp_Palpatine le lun. déc. 03, 2018 9:45 pm, modifié 3 fois.
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par GA_Thrawn »

Cet AAR résonne étrangement avec l'actu :mrgreen:
« Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. »
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Message par griffon »

:shock: :ko:

Ce de Coelion vole la révolution au peuple ! :crouge:
SOL INVICTVS

Au printemps, je vais quelquefois m'asseoir à la lisière d'un champ fleuri.
Lorsqu'une belle jeune fille m'apporte une coupe de vin , je ne pense guère à mon salut.
Si j'avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu'un chien

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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Chef Chaudard »

griffon a écrit : lun. déc. 03, 2018 9:43 pm :shock: :ko:

Ce de Coelion vole la révolution au peuple ! :crouge:
A la lanterne !!!!
- On se bat, on se bat, c'est plutôt qu'on est comme une espèce de poste avancé, quoi. Dans le cas que... comprenez, une supposition, que les Allemands reculent, crac, on est là!
- Pour les empêcher de reculer...
- Non, pour euh..., la tenaille quoi.
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Message par griffon »

Chef Chaudard a écrit : mar. déc. 04, 2018 7:44 pm
griffon a écrit : lun. déc. 03, 2018 9:43 pm :shock: :ko:

Ce de Coelion vole la révolution au peuple ! :crouge:
A la lanterne !!!!

Doit on le juger au préalable ? :?
SOL INVICTVS

Au printemps, je vais quelquefois m'asseoir à la lisière d'un champ fleuri.
Lorsqu'une belle jeune fille m'apporte une coupe de vin , je ne pense guère à mon salut.
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Message par stratcom »

Je me doutais que l'animal nous réservait un mauvais coup.
La neutralité religieuse dans les espaces publics est le meilleur moyen de respecter tous les membres de la société, quelle que soit leur religion ou leur croyance.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par GA_Thrawn »

Le peuple ne se laissera point abuser ainsi. L'avenir me parait empli de périls :goutte:
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Message par Chef Chaudard »

griffon a écrit : mar. déc. 04, 2018 7:56 pm
Chef Chaudard a écrit : mar. déc. 04, 2018 7:44 pm
griffon a écrit : lun. déc. 03, 2018 9:43 pm :shock: :ko:

Ce de Coelion vole la révolution au peuple ! :crouge:
A la lanterne !!!!

Doit on le juger au préalable ? :?
Si on trouve un nouveau Fouquier Tinville, pourquoi pas ?
- On se bat, on se bat, c'est plutôt qu'on est comme une espèce de poste avancé, quoi. Dans le cas que... comprenez, une supposition, que les Allemands reculent, crac, on est là!
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- Non, pour euh..., la tenaille quoi.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par griffon »

Il y en a un ! :lolmdr: :lolmdr:

Juste au post du dessus ! ;)
SOL INVICTVS

Au printemps, je vais quelquefois m'asseoir à la lisière d'un champ fleuri.
Lorsqu'une belle jeune fille m'apporte une coupe de vin , je ne pense guère à mon salut.
Si j'avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu'un chien

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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Chef Chaudard »

On l'a !!! :clap:
- On se bat, on se bat, c'est plutôt qu'on est comme une espèce de poste avancé, quoi. Dans le cas que... comprenez, une supposition, que les Allemands reculent, crac, on est là!
- Pour les empêcher de reculer...
- Non, pour euh..., la tenaille quoi.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

Le 28 mai – l'agonie
La Lieutenance du Comte de Chambord rejetée. Débat entre gouvernement provisoire et régence. La régente refuse de quitter la Chambre. La voix de la Duchesse d'Orléans est étouffée. Le flot de l'invasion de la Chambre ne se tarit pas. Discours de M. Lamartine. Fuite de la plupart des députés et de la famille royale. Nomination à la criée du gouvernement provisoire et départ pour l'hôtel de ville.

Les Légitimistes, pendant sept ans, avaient cru contrôler le parlement de la Monarchie de Juillet. C'était un souhait, un vœu pieu, plus qu'une réalité. Alors que sombrait le régime de 1830, face à l'opportunité historique qu'il attendait, le parti Légitimiste voyait ses rangs fondre et disparaître les votes de ceux qui l'avaient rejoint quand le vent électoral amenait vers des demandes d'ordre. L'amendement appelant le Comte de Chambord à exercer la Lieutenance fut battu, la majorité des conservateurs craignant le saut dans l'inconnu au milieu du naufrage, les Légitimistes de rencontre révélant au pied du mur la réalité de leur conviction. Dans le tumulte de la Chambre envahie, l'abattement frappa les rangs de la droite et déjà certains quittaient discrètement les travées.

Pour les dynastiques, le centre et la gauche modérée, l'échec de la motion des Légitimistes était une divine surprise. Le président du conseil en titre, Odilon Barrot, étant toujours absent, c'est un de ses proches qui monta à la Tribune. Il répéta la nouvelle de l'abdication, la régence et demanda à la Chambre d'enregistrer dans son procès verbal les acclamations qui ont accompagné la nouvelle et l'annonce de l'accession au Trône du Comte de Paris. La grande majorité des députés approuve tandis que des Légitimistes de conviction, de l'extrême gauche mais surtout de la foule grossissante qui remplit les tribunes et les couloirs s'élèvent des protestations. Plus que jamais, d'autant plus après la perte de temps du vote précédent, il importe de se hâter. Les ennemis du régime comprennent de quel intérêt il est pour eux de gagner du temps. Déjà à la tribune montent les partisans de la révolution, demandant un gouvernement provisoire, suppliant de se plier à la foule. Le chaos est à son comble et le calme nécessaire pour procéder à un vote semble illusoire à atteindre.
De sa place, M. Lamartine propose que la séance soit suspendue « à raison de la présence de l'Auguste Princesse ». Voyons le panneau que tend le député libéral, M. De Coelion, du perchoir, le saisit et déclare que «la Chambre va suspendre sa séance, jusqu'à ce que madame la duchesse d'Orléans et le nouveau roi se soient retirés». De nombreuses réclamations éclatent sur les bancs des députés. La princesse se refuse à sortir; se tournant vers le président, elle lui dit avec dignité: «Monsieur, ceci est une séance royale!» Aux amis effrayés pour sa vie qui l'engagent à partir, elle répond avec un sourire triste: «Si je sors d'ici, mon fils n'y rentrera pas.» Elle demeure donc, immobile, calme, au milieu de la foule qui l'enveloppe de plus en plus.
Le président s'obstine et invite de nouveau «toutes les personnes étrangères à la Chambre à se retirer de l'enceinte». Le tumulte redouble. La situation devient intenable dans l'hémicycle, pour la duchesse d'Orléans et ses enfants, littéralement étouffés et écrasés par la foule. Précédée du duc de Nemours et suivie des jeunes princes, la duchesse gravit les degrés de la salle par le couloir du centre. Est-ce donc qu'elle se décide à s'en aller? Non; arrivée aux bancs supérieurs du centre gauche, elle s'y assoit, aux acclamations de la Chambre presque entière.

Un temps précieux a été perdu, pendant lequel le nombre des intrus a augmenté dans les couloirs et l'hémicycle. Ce n'est pas encore une invasion de vive force et en masse; c'est une sorte d'infiltration continue. Comprendra-t-on enfin la nécessité de conclure? Le président annonce que la Chambre va «délibérer». Les débats reprenent. On objecte aux partisans de la duchesse d'Orléans la loi qui attribue la régence au duc de Nemours, on conclut, sans nommer la république, en demandant l'organisation immédiate d'un gouvernement provisoire. Le président et la majorité, qui, après l'échec de leur tentative ne désirent plus sauver les institutions, ne protestent pas contre une discussion qui suppose le gouvernement vacant.
Cependant M. Odilon Barrot, informé de la présence de la duchesse d'Orléans au Palais-Bourbon, s'est enfin décidé à y venir. Des voix nombreuses l'appellent à la tribune. Après quelques généralités sur le mal de la guerre civile: «Notre devoir, dit-il, est tout tracé. Il a heureusement cette simplicité qui saisit une nation. Il s'adresse à ce qu'il y a de plus généreux et de plus intime: à son courage et à son honneur. La couronne de Juillet repose sur la tête d'un enfant et d'une femme.» À ces paroles bien inspirées et bien dites, la grande majorité des députés répond par des acclamations. La duchesse d'Orléans et, sur son indication, le comte de Paris se lèvent et saluent. Puis, presque aussitôt, la princesse fait signe qu'elle veut parler. «Messieurs, dit-elle avec fermeté, je suis venue avec ce que j'ai de plus cher au monde...» Sa voix ne parvient pas à dominer le tumulte. Vainement quelques députés crient-ils: «Laissez parler madame la duchesse!» D'autres, qui ne se rendent pas compte de ce qui se passe ou qui redoutent cette intervention, crient: «Continuez, monsieur Barrot!» Et M. Barrot continue, ajoutant ainsi le son de sa parole à tous les bruits qui étouffent la voix de la princesse. Ne s'est-il donc pas aperçu qu'elle voulait parler, ou a-t-il cru qu'il dirait mieux ce qui convenait? La duchesse d'Orléans, restée un instant debout dans l'attitude résolue de quelqu'un qui veut haranguer une foule, retombe accablée sur son banc. Que serait-il arrivé si elle avait pu se faire entendre? Elle eût certainement trouvé dans son cœur de princesse et de mère des accents inconnus aux avocats parlementaires. Eussent-ils suffi à rétablir une fortune déjà si compromise? En tout cas, l'occasion, une fois perdue, ne pourra plus se retrouver. La princesse le sent: aussi est-ce pour elle l'instant le plus douloureux.
La fin du discours de M. Odilon Barrot ne vaut pas le début. Et puis, au bout, pas un acte, pas une initiative. Pour toute conclusion, la menace de donner sa démission si l'on n'adopte pas son avis. Il faut certes la naïveté de M. Barrot pour s'imaginer qu'on arrête une révolution en posant la question de cabinet. Le ministre n'ayant fait aucune proposition par laquelle on puisse clore le débat, celui-ci se prolonge. À ce moment, comme pour répondre à cet appel, la porte de gauche, frappée violemment à coups de crosse, cède et livre passage à une foule d'hommes armés, gardes nationaux, ouvriers, étudiants, portant des drapeaux et criant: «À bas la régence! La déchéance!» Le flot tumultueux remplit l'hémicycle et déborde sur les premiers gradins. Les députés refoulés se serrent sur les bancs supérieurs. Le président se couvre et déclare «qu'il n'y a point de séance en ce moment», mais il reste à son fauteuil. La duchesse d'Orléans est toujours à sa place, le duc de Nemours à côté d'elle. M. Odilon Barrot est immobile, les bras croisés, au pied de la tribune d'où les envahisseurs proclament que le peuple a repris sa souveraineté. L'un d'eux annonce que «le trône vient d'être brisé aux Tuileries et jeté par les fenêtres». M. de la Rochejacquelein, s'adressant à l'un des chefs, lui dit: «Nous allons droit à la république.—Quel mal y a-t-il à cela?—Aucun, reprend M. de la Rochejacquelein; tant pis pour eux, ils ne l'auront pas volé.» Enfin, M. Ledru-Rollin parvient à prendre la parole. Au nom du peuple dont il salue les représentants dans les envahisseurs, il dénie à la Chambre le droit de constituer une régence et se décide à finir en réclamant un gouvernement provisoire nommé par le peuple, non par la Chambre.
Voici M. de Lamartine à la tribune. Il est salué par des applaudissements. Cette ovation rend quelque espoir aux partisans de la duchesse d'Orléans qui ignorent l'engagement pris par l'orateur envers les républicains. Ils veulent voir en lui l'homme capable de charmer, de toucher, de dompter cette foule. La cause à défendre ne semble-t-elle pas faite pour le séduire? Du haut de la tribune, il peut voir les deux clients qui s'offrent à son éloquence: à ses pieds, l'émeute grouillante, hurlante, menaçante, qui cherche à étouffer par la force la libre délibération des élus du pays; en face de lui, immobile et digne, une princesse en larmes, une mère en deuil, qui, son enfant à la main, est venue se confier à la représentation nationale; d'un côté, la violence dans ce qu'elle a de plus cynique et de plus hideux; de l'autre, le droit sous sa forme la plus touchante. Comment supposer qu'un poète, d'âme tendre et délicate, d'inspiration chevaleresque, puisse un moment hésiter? Son imagination rêvait un beau rôle: où en trouver un plus beau et qui convienne mieux à son talent? En effet, les premières paroles de l'orateur semblent un appel à la pitié en faveur «d'une princesse se défendant avec son fils innocent, et venant se jeter du milieu d'un palais désert au milieu de la représentation du peuple». L'émeute, surprise, murmure et ébauche des gestes de menace. Quelques amis de la princesse se retournent vers elle, avec une lueur d'espoir dans le regard; mais elle leur répond par un sourire triste, indiquant qu'elle n'a pas leur illusion. M. de Lamartine ne laisse pas longtemps l'auditoire dans l'incertitude; il ajoute que, «s'il partage l'émotion qu'inspire ce spectacle attendrissant des plus grandes catastrophes humaines, il n'a pas partagé moins vivement le respect pour le peuple glorieux qui combat depuis trois jours afin de redresser un gouvernement perfide». Un frémissement douloureux parcourt les rangs des amis de la monarchie, tandis que l'émeute, rassurée, applaudit. L'orateur continue en contestant la portée des «acclamations» sur lesquelles on a prétendu fonder la régence, et, «du droit de la paix publique, du droit du sang qui coule», il demande que «l'on constitue à l'instant un gouvernement provisoire».
Ce «peuple», que l'orateur flatte si misérablement, ne va pas lui laisser finir son discours. Les portes, de nouveau forcées, vomissent une seconde invasion plus hideuse encore que la première. Les émeutiers se précipitent à la fois par les tribunes et par les entrées du bas, ivres de violence, brandissant leurs armes, hurlant: «À bas la Chambre! Pas de députés! À la porte les corrompus! Vive la république!» L'un d'eux, d'une main mal assurée, ajuste son fusil dans la direction du bureau. «Ne tirez pas, ne tirez pas, lui crie-t-on; c'est Lamartine qui parle!» Ses voisins parviennent enfin à relever son arme. «Président des corrompus, va-t'en!» dit un insurgé en arrachant le chapeau de M. de Coelion, qui disparaît, non sans déclarer la séance levée. Les députés épouvantés s'échappent par toutes les issues. Le groupe royal n'a plus autour de lui qu'un petit nombre d'amis. Des insurgés, qui ont fini par le découvrir, braquent leurs fusils de ce côté. La duchesse d'Orléans ne se trouble pas; le duc de Nemours est toujours auprès d'elle. Leurs amis les entraînent par un corridor étroit et obscur que la foule obstrue.
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Séparée violemment de ses deux fils, la princesse pousse des cris déchirants: «Mes enfants! mes enfants!» Au bout de quelques instants, le comte de Paris, porté ou plutôt lancé de bras en bras, parvient à l'extrémité du corridor; on le fait sortir par une fenêtre. Peu après, on apprend que le duc de Chartres, un moment renversé sous les pieds de la foule, a été relevé et se trouve en sûreté dans l'appartement d'un huissier. On décide de se réfugier à l'hôtel des Invalides, qui est à peu de distance. Une voiture se trouve dans la cour; la princesse y monte avec le comte de Paris et quelques fidèles. Pendant ce temps, le duc de Nemours a été entraîné par des amis qui le savent plus menacé que tout autre; ils lui font revêtir un costume de garde national. Insoucieux de son propre péril, il ne songe qu'à celui de sa belle-sœur, et se hâte de la rejoindre aux Invalides.
Désormais, dans la salle du Palais-Bourbon, il n'y a plus de Chambre: ce n'est qu'un club, et quel club! À peine une douzaine de députés républicains sont-ils restés au milieu des envahisseurs en armes qui remplissent l'enceinte. M. de Lamartine est toujours à la tribune, et M. Dupont de l'Eure a été porté au fauteuil. Au milieu du tapage, M. de Lamartine parvient, non sans peine, à faire comprendre qu'on va soumettre au «peuple» la liste des membres du gouvernement provisoire. Plusieurs noms sont jetés à la foule. Au milieu des acclamations, des huées, des apostrophes diverses qui se croisent, il est difficile de savoir d'une façon précise qui a été admis, et même souvent qui a été proposé. Les noms qui semblent surnager sont ceux de Lamartine, Arago, Dupont de l'Eure, Ledru-Rollin, Marie.
Pour mettre un terme à cette scène de confusion tumultueuse, un émeutier, un barbu connu des milieux radicaux, s'écrie:

«À l'Hôtel de ville!

Lamartine en tête! :P »

L'appel est entendu: une partie de la foule sort avec Lamartine et Dupont de l'Eure. Le peuple se décide alors à évacuer la salle, non sans avoir percé de balles le portrait de Louis-Philippe dans le tableau qui est au-dessus du bureau et qui représente la prestation du serment en 1830. Il est alors environ quatre heures du soir.
Modifié en dernier par Emp_Palpatine le sam. avr. 20, 2019 9:02 pm, modifié 1 fois.
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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Locke
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Locke »

Quel feuilleton, quelle plume ! :clap:
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griffon
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par griffon »

J'avais perdu le fil , je suis obligé d'en recommencer la lecture depuis le tout début :lolmdr:
SOL INVICTVS

Au printemps, je vais quelquefois m'asseoir à la lisière d'un champ fleuri.
Lorsqu'une belle jeune fille m'apporte une coupe de vin , je ne pense guère à mon salut.
Si j'avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu'un chien

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Chef Chaudard
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Chef Chaudard »

Locke a écrit : sam. avr. 20, 2019 5:31 pm Quel feuilleton, quelle plume ! :clap:
Je plussoie mille fois !!! :clap: :clap: :clap:
Réjouissez-vous, mânes de Jacques roux, Varlet, Baboeuf !!! Le peuple est de nouveau souverain !
Rétablissement de la constitution de l'an II !!!
- On se bat, on se bat, c'est plutôt qu'on est comme une espèce de poste avancé, quoi. Dans le cas que... comprenez, une supposition, que les Allemands reculent, crac, on est là!
- Pour les empêcher de reculer...
- Non, pour euh..., la tenaille quoi.
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griffon
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par griffon »

Chaudard nous avons mieux à faire , A l’hôtel de ville ! :wink:

Avec les drapeaux rouges !
SOL INVICTVS

Au printemps, je vais quelquefois m'asseoir à la lisière d'un champ fleuri.
Lorsqu'une belle jeune fille m'apporte une coupe de vin , je ne pense guère à mon salut.
Si j'avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu'un chien

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