1836-1839
L'héritage de 1815, quoi qu'affaibli, restait bien vivant : aucune des grandes puissances européennes ne pouvait être comprise comme un allié véritable. Le Royaume-Uni continuait sa politique relativement distante des affaires européennes, tant que ses intérêts directs n'étaient pas menacés comme en Belgique. La Russie était lointaine et bien qu'hostile au régime de juillet, aux oreilles de moins en moins sourdes. Autriche et Prusse, cohabitant dans la Confédération Germanique, étaient cordiales avec la France mais pas au point de faire totalement disparaître les méfiances latentes.
Ainsi, la France devait se contenter des puissances secondaires pour trouver appuis et supports réels. L'Italie, terre d'influence française, était une zone d'expansion naturelle de nos relations.
La France et le Royaume des Deux-Siciles s'accordèrent ainsi sur un traité d'alliance mutuelle. L'intérêt d'un tel mouvement était multiple : la France renforçait sa présence en Italie et en cas de conflit contre l'Autriche pouvait espérer adjoindre à ses forces celles des Deux Siciles en plus des forces Pontificales. Les Deux Siciles en 1836 étaient la première puissance militaire de la péninsule.
De même, le Roi avait évoqué lors de son discours du Trône son souhait de voir les querelles opposant la France aux États-Unis se régler rapidement. Les choses allèrent au delà de toutes les espérances: Paris et Washington s'entendirent sur une alliance dans le cas où l'une ou l'autre puissance se trouverait en guerre contre les Britanniques.
Inutile en Europe, cette alliance couvrait cependant la possibilité d'un conflit avec le Royaume-Uni, rendant le Canada vulnérable pour l'adversaire potentiel. Malgré l'optimisme régnant au sein du gouvernement, les relations avec Londres restaient fraîches et plusieurs sujets de discorde étaient encore susceptibles de mener à la guerre.
L'isolement européen n'était tout de même pas souhaitable. Dans le cas d'un conflit éclatant contre la Confédération Germanique, la France restait désespérément seule. Mais de nombreux signaux démontraient que tant le gouvernement du Tsar que celui de la France souhaitaient améliorer leurs relations. S'adjoindre le concours de la Russie dissoudrait effectivement la Sainte Alliance et fournirait à la France un allié de poids.
A Paris et à Saint Petersbourg, on se prodigue donc des attentions. Réceptions au sein des ambassades, entretiens discrets des ministres et ambassadeurs et autres occasions se multiplient. Petit à petit, les relations s'améliorent.
En l'absence de troubles sérieux en Europe, hormis les affaires de Belgique et d'Espagne, la politique extérieure française n'avait guère d'autres tâches sur lesquelles se pencher : améliorer ses relations, tenter de créer de nouvelles alliances, renforcer son influence là où elle était déjà présente.
Sur ce point, le traité Franco-Sarde de 1838 fut un grand succès de la diplomatie française.
Le Royaume de Piémont Sardaigne entrait ainsi officiellement dans la sphère d'influence française. Ainsi, en plus de la clause de la nation la plus favorisée, la France s'adjoignait un nouvel allié formel en Italie. Les trois principaux États italiens étaient des clients directs ou indirects de Paris.
Le 1er janvier 1839, la question de l'indépendance belge fut enfin réglée, après des années d’atermoiements.
Dans les faits, depuis 1831 la plupart des enjeux étaient déjà résolus par les grandes puissances. Manquait la bonne volonté des deux belligérants.
Les Néerlandais refusaient toujours de voir partir leurs provinces du sud et s'obstinaient à repousser le traité, espérant recréer les conditions nécessaires à la reconquête : peut-être en fracturant l'entente Franco-britannique sur le sujet, peut-être en s'assurant le concours de la Russie ou de la Confédération Germanique?
Les Belges, quant à eux, s'insurgeaient contre le prix à payer pour la paix perpétuelle et pour leur indépendance. La renonciation au Limbourg et à une partie du Luxembourg était une insulte insupportable à leur jeune orgueil national. Comment accepter que des provinces s'étant clairement ralliées à la révolution de 1830 et revendiquant leur appartenance au nouvel royaume fussent séparées de la patrie?
Eh bien, on l'accepte quand la pression des puissances et notamment de la première d'entre elles se fait trop lourde.
La Belgique accepta donc de céder le Limbourg et le Luxembourg aux Pays-bas. Ces deux provinces, techniquement membres de la Confédération Germanique, restèrent de jure disjointes du royaume des Pays-Bas. Si pour le Limbourg, la séparation fut des plus fictives, l'union personnelle avec le Luxembourg était un ferment de futures crises.
Les Pays-Bas, quant à eux, reconnurent l'indépendance de la Belgique et annoncèrent renoncer à leurs prétentions et revendication au sein du nouveau royaume.
Le tout était un succès magistral de la politique Britannique : la Belgique était fermement arrimée à l'influence Britannique tandis que les Pays-Bas, isolés, n'avaient d'autre voie possible que l'entente avec Londres.
Chez nous, la nouvelle fut accueillie avec assez peu d'intérêt, la question semblant réglée depuis 1831. Cependant, l'amertume et la fraîcheur néerlandaise envers les Britanniques fut notée à Paris.
On s'intéressait plus à l'affaire d'Espagne, qui avait tant occupé les esprits depuis l'éclatement de la guerre carliste. Aucune intervention ne fut nécessaire, en définitive. Les forces constitutionnelles, fidèles à la jeune reine Isabelle, semblaient en 1839 avoir repris la main sur les provinces du nord et étouffé les flammes de l'insurrection des carlistes. La royauté de juillet ne pouvait que s'en réjouir.
Elle ne put aussi que se réjouir, plus ou moins sincèrement, des événements de Parme. Le Duché, confié à l'ex-impératrice Marie-Louise, était de fait gouverné par un premier ministre la plupart du temps imposé par Vienne. Si la Duchesse était populaire, le premier ministre autrichien l'était bien moins et déjà en 1830 des émeutes avaient éclaté.
La duchesse Marie-Louise, de caractère doux et gentil, restait permissive et magnanime envers la charbonnerie et les autres sociétés secrètes radicales : ce qui devait arriver arriva, au printemps 1839 de nouvelles émeutes éclatèrent. Au cri de "vive la Duchesse! Une constitution! A bas le ministre!", les émeutiers s'emparèrent de la ville et la Duchesse n'eut d'autre choix que de se mêler, contrairement à son habitude, de politique en chassant le ministre puis en acceptant la rédaction d'une constitution.
Le gouvernement provisoire commit la constitution la plus avancée d'Europe à ce moment là : le régime ducal devenait constitutionnel (ce qui n'était pas pour déplaire à la duchesse Marie-Louise, peu désireuse de gouverner directement), fondé sur un suffrage universel pondéré par la contribution au cens, libéralisant totalement la presse et les associations professionnelles. A Paris, certains journaux ne cachèrent pas leur admiration pour l'audace parmesane...
Sur le plan diplomatique, la royauté nouvelle ne pouvait que féliciter le nouveau régime parmesan, du fait des origines émeutières maintenant partagées. De plus, le gouvernement provisoire local avait bien pris soin d'expulser tous les attributs de l'influence autrichienne. Le Duché de Parme n'avait plus de protecteur international et sa proximité avec le Piemont-Sardaigne nous offrait des opportunités fort intéressantes.