A toutes les gloires de la France.

GA_Thrawn
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par GA_Thrawn »

Pourvu que cette situation se résolve vite... Il est toujours difficile pour la girouette d'anticiper le sens du vent :?
« Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. »
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Emp_Palpatine
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Message par Emp_Palpatine »

La journée du 26 mai 1848 - 2ème partie


Que font, pendant ce temps, les députés de l'opposition? Les voit-on chercher à calmer une agitation dont ils sont responsables, faute d'avoir su conserver les suffrages du pays? Non. Ils s'occupent à rédiger un acte d'accusation qu'ils doivent déposer à la Chambre contre le ministère. Peut-être encouragés en ce sens par des agents ayant l'oreille du Palais où, peut-être (encore une fois) on espère profiter de la situation pour fragiliser la majorité voire la faire chuter. Les rédacteurs ne se font pourtant pas d'illusion sur le résultat; ils sont découragés, ils croient leur rôle et leur carrière finis. "Venez, mon cher ami, écrit M. Barrot à l'un de ses proches, pour que nous fassions ensemble notre testament politique."

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Odilon Barrot, chef de file de la gauche dynastique.

Un projet, préparé à la hâte, est soumis vers onze heures aux députés qui se trouvent réunis chez M. Barrot: le ministère y est, entre autres, accusés d'avoir "trahi au dehors l'honneur et les intérêts de la France, d'avoir faussé les principes de la constitution, de mettre en danger les institutions par sa loyauté douteuse à la dynastie, violé les garanties de la liberté, perverti le gouvernement représentatif..." et autres griefs plus ou moins justifiés.
A la grande surprise des rédacteurs, l'autre grand chef des libéraux, M. Thiers, les critique vivement. Selon lui, "on se méprend sur l'état des esprits; tout est fini, complètement fini et l'opposition n'a qu'à subir sa défaite. [...] Certes, l'idée d'une mise en accusation ne doit pas être abandonnée mais c'est une ressource qu'il faut ménager; aujourd'hui un tel acte paraîtrait à tous excessif et ridicule."
Les auteurs du projet répondent que la mise en accusation sera à peine suffisante pour calmer l'émotion publique; ils rappellent que la veille au soir, dans la commission du banquet, les députés se sont engagés à la proposer en échange de l'ajournement de la manifestation et qu'ils ne compte pas manquer à leur parole. L'avis de M. Thiers n'est pas appuyé et la discussion porte uniquement sur le point de savoir si l'acte sera signé par quelques membres ou par tous les députés de l'opposition. Ce dernier parti l'emporte mais, quand il s'agit de s'exécuter, beaucoup se dérobent par faiblesse ou par mésentente, les radicaux refusant notamment le trop grand institutionnalisme de l'acte.

En se rendant, vers deux heures, à la séance de la Chambre, les députés, dont plusieurs ignoraient jusqu'à ce qui se passait, sont surpris de voir la foule massée sur la place de la Concorde et le palais Bourbon entouré de troupes. Les manifestants les accueillent diversement, les opposants jouissant plus ou moins des ovations ordinairement assez grossières qui leur sont faites. Pour aucun d'eux, cependant, les choses n'apparaissent sérieuses.
Les radicaux, loin de voir dans cette agitation le commencement d'une révolution, ne croient même pas à une véritable émeute et sont convaincus que la nuit mettre fin au tapage.
Arrivés à la Chambre, les promoteurs de la mise en accusation circulent de banc en banc en quête de signature avec un succès médiocre. On leur répond souvent "c'est dans le cas où le cabinet aurait laissé faire le banquet qu'il mériterait d’être mis en accusation". Les ministres, confiants, assistent ironiques à ce ballet. Enfin, M. Odilon Barrot se décide à remettre son papier à M. de Coelion, président de la Chambre, M. Berryer monte au bureau pour en prendre connaissance et le parcourt avec un sourire dédaigneux.
Pendant ce temps se poursuivait, devant des auditeurs inattentifs, une discussion sur le renouvellement du privilège de la banque de Bordeaux. Après quelques heures, M. Barrot en appelle au président de la Chambre pour la mise à l'ordre du jour de sa proposition. M. de Coelion lui répond qu'elle aura lieu le surlendemain, lundi. Sur ce, la Chambre cesse ses discussions bancaires et se sépare.

Durant la séance de la Chambre, l'agitation a grandi dans la ville. La place de la Concorde a fini par être un peu dégagée; mais dans les Champs-Elysées, les gardes municipaux ne parviennent pas à avoir raison des bandes qui s'y embusquent, derrière les arbres et les amas de chaises. Un moment, le petit poste de la rue de Matignon est assailli par des gens tentant d'y mettre le feu. Des bandes descellent les grilles du ministère de la marine et s'en servent de leviers pour déchausser les pavés et ébaucher la première barricade au coin de la rue Saint Florentin et de la rue de Rivoli.
Repoussés par les gardes municipaux, elles se replient sur le centre de la ville et essayent d'élever d'autres barricades rue Duphot puis rue Saint Honoré. Sur leur chemin, elles pilles les boutiques d'armuriers, y trouvent des fusils mais peu de poudre. Le gouvernement avait eu, dans les jours précédents, la précaution de la faire enlever.
Pas plus que le matin il n'y a d'ensemble ou de direction, chaque bande agit au gré de sa fantaisie. A quelques exceptions près, les hommes des sociétés secrètes radicales demeurent assez sceptiques. L'un d'entre eux déclare "Tout cela n'est pas clair; il y a du monde, mais c'est tout; ça n'ira pas jusqu'aux coups de fusil." Aucun ne reconnaît un caractère républicain à la manifestation.

En présence de ces faits, l'effacement des autorités devient de plus en plus difficile à comprendre. Au quartier général des forces de l'ordre, à l'état-major de la garde nationale, alors installé dans l'aile des Tuileries longeant la rue de Rivoli, le général Jacqueminot, commandant de la Garde Nationale et le général Sebastiani, commandant la place de Paris, suivent la situation. Les deux hommes n'ont jamais brillé par leur talent bien qu'ils soient braves et dévoués. Dès le jour où l'on a craint des troubles, certains ministres se sont demandé s'il ne conviendrait pas de réunir tous les pouvoirs dan une main plus forte et plus ferme. Les noms à leur esprit : les maréchaux Bugeaud ou Guillaumat.
Bugeaud, se croyant tout indiqué, tournait depuis quelques temps autour du Roi et des ministres, se portant fort du succès de sa nomination. Plusieurs membres du cabinet hésitaient, cependant, par crainte d’effaroucher l'opinion ou de se donner un collaborateur encombrant. Ces considérations n'étaient pas sans agir sur le Roi, une telle mesure se trouva donc ajournée. Il était toutefois convenu que si les choses tournaient mal, le maréchal Bugeaud recevrait le commandement de l'armée et de la garde nationale.
On oubliait que les meilleurs remèdes risquent de ne plus produire d'effet lorsqu'on y recourt trop tard.

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Le maréchal Bugeaud

A défaut des deux maréchaux, le duc de Nemours tâchait d'exercer une sorte d'arbitrage au dessus des deux généraux falots, sans autre titre que celui de son rang. Ainsi assurait-il un peu d'unité entre des pouvoirs égaux et rivaux. Courageux et désintéressé, il devait se montrait digne de l'éloge que faisait feu son frère le duc d'Orléans "Mon frère Nemours, c'est le devoir personnifié!". Mais, timide et se sachant peu populaire, plus habitué à obéir qu'à commander, il était homme à faire modestement son devoir sans se mettre en avant ou s'emparer spontanément d'un rôle qui ne serait pas strictement le sien. Il eût gagné à être secondé par ses deux frères, Joinville et Aumale, tous deux particulièrement aimés de la troupe et de l'opinion, tous deux en Algérie pendant les événements. La reine Marie-Amélie, dont l'âme italienne était agitée de sombres pressentiments, déplorait ses séparations. C'est surtout le grand absent, l'aîné, le duc d'Orléans décédé qui allait manquer.

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Le duc de Nemours, seul prince du sang adulte présent à Paris.

Vers cinq heures, les nouvelles qui arrivent à l'état-major sont telles qu'on se décide à prescrire l'occupation militaire de la ville. C'est l'opération qu'avait décidé le conseil des ministres quelques jours avant et qui avait été décommandée. Les ordres sont aussitôt expédiés. Comme la garde nationale doit participer à l'opération, le rappel est battu. Il produit peu d'effets, et chez les hommes qui prennent les armes, les dispositions sont souvent douteuses. Ce n'est pas le seul mécompte. Le préfet de police ayant voulu procéder aux arrestations préventives, suspendues la veille, ne parvient à mettre la main que sur cinq meneurs.
L'armée, du moins, s'est mise en mouvement. A neuf heures du soir, chaque corps occupe l'emplacement qu'il doit occuper.

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L'occupation du pont de l'archevêché.

Partout, devant ce mouvement, l'émeute s'est dispersée sans résistance sérieuse. Sur divers points, les réverbères sont détruits, les conduites de gaz coupées. Au Champs-Elysées, des gamins ont mis le feu à des baraques; des bandes incendient ou dévastent les barrières de l’Étoile. Ailleurs, il y a des échauffourées mais nulle part de combat sérieux.
Peu à peu, avec la nuit qui avance, le silence se fait dans la ville; le peuple est rentré dans ses maisons. Les soldats bivouaquent autour de grands feux, sous la pluie. A une heure, ordre est donné de retourner aux casernes, ne laissant dehors que quelques détachements.

Que penser de la journée? D'aucun côté on n'y voit clair. Les meneurs radicaux se sont réunis dans la soirée au Palais-Royal et ne songent toujours pas à se mêler à un mouvement qu'il ne prennent pas au sérieux. Dans certains journaux comme la Réforme ou le National, on est même embarrassé, on regrette une agitation dont on espère aucun résultat. Chez M. Barrot, on est inerte.
Aux Tuileries, la soirée est passée à attendre et recevoir les nouvelles. La reine ne cache pas son anxiété mais le Roi, au contraire, demeure confiant. Il répète que les Parisiens ne font pas la révolution sous la pluie et que "ils savent ce qu'ils font, ils ne troqueront pas le trône pour un banquet."
Cette confiance augmente à mesure que l'on apprend l'absence de combats et de résistance ainsi que le calme si facilement rétabli. Tout cela n'aura donc été qu'une journée sans importance et le lendemain il n'en sera probablement plus question. Et si le désordre persiste, on sera alors fondé à agir vigoureusement immédiatement. Cette impression de sécurité persiste quand le chef de la Sûreté vient annoncer que les chefs révolutionnaires persistent à se tenir à l'écart.

A la fin de la soirée, lorsque Louis-Philippe se retire, il est triomphant, jugeant l'affaire terminée et félicite tout le monde d'avoir su résoudre les troubles sans effusion de sang. Persuadé que, comme lors des émeutes de la décennie 1830, l'impuissance de l'agitation raffermira le pouvoir et il ne cache pas qu'il ne s'est pas senti aussi fort depuis longtemps.
Modifié en dernier par Emp_Palpatine le dim. oct. 07, 2018 9:10 am, modifié 1 fois.
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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Emp_Palpatine
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

On dit "dans les Champs-Elysées" à l'époque puisque c'étaient encore, en très grande partie, eh bien champêtre.

Sinon, peu d'iconographie mais ça va changer. :o:
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par GA_Thrawn »

Peut être serait il temps d'aller présenter mes respects à sa majesté...
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Vavan »

Loin de moi l'idée de vouloir encourager la sédition, mais il est fort regrettable que les ennemis de Sa Majesté et de la France ne soient pas sortis des ténèbres qui les dissimulent et les protègent.

Si ils étaient sortis au grand jours, nous aurions alors pu les écraser sans difficulté alors qu'ils vont maintenant sûrement poursuivre leurs funestes projets en attendant des jours meilleurs pour leur cause diabolique.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par stratcom »

M'est avis que l'affaire n'est pas terminée. :o:
La neutralité religieuse dans les espaces publics est le meilleur moyen de respecter tous les membres de la société, quelle que soit leur religion ou leur croyance.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

La journée du 27 mai 1848, 1ère partie.
L'émeute reparaît. La garde nationale prend parti.


Le 28 mai, Paris se réveille encore sous une pluie fine.
Dès sept heures du matin, les troupes sortent de leurs casernes pour reprendre les positions qu'elles occupaient la veille au soir. La ville paraît came. Au ministère de l'Intérieur, on se flatte que tout est fini; quelques députés venus aux nouvelles expriment le regret que le désordre n'ait pas duré assez longtemps pour effrayer et donner au pouvoir la force dont il a besoin.
Bientôt cependant, vers neuf heures, l'émeute reparaît sur plusieurs points. L'affaire n'est effectivement pas terminée.

Cette fois, les troubles se concentrent entre la rue Montmartre, les boulevards, la rue du Temple, les quais, dans ces quartiers aux rues enchevêtrées qui déjà au lendemain de 1830 avaient été le théâtre préféré de toutes les insurrections. Les bandes n'ont toujours pas de direction d'ensemble, de chefs connu. Elles harcèlent les troupes, élèvent ça et là des barricades, attaquent des postes. Nulle part une vraie bataille ni une résistance durable. De part et d'autre cependant on tiraille un peu: quelques blessés et même, en très petit nombre, les premiers morts.

Dans le peuple, bien que les mines soient plus sombres que la veille, rien n'indique une passion bien profonde. Quant à l'armée, elle est triste de la besogne qu'on lui fait faire, troublée de devoir marcher contre des gens l'accueillant aux cris de "Vive la ligne!". Elle souffre du mauvais temps, de la distribution inefficace des vivres, de ne pas se sentir conduite par une main ferme et résolue. Néanmoins, sa supériorité est évidente et pendant cette matinée elle ne subit d'échec nulle part; partout les émeutiers reculent devant elle. Dans ces conditions, la défaite finale de l'émeute ne fait guère de doute. Telle est la situation avant l'entrée en scène de la garde nationale.

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La garde nationale en 1848. Elle porte depuis quelques temps une tenue bleue, ayant délaissée la tenue bleue et blanche héritée de 1789.

Dès la veille, l'opposition avait déjà crié "Osez donc réunir la garde nationale!". Trois députés avaient exprimé leur "douloureuse surprise qu'éprouvait la population de ne pas voir convoquée la garde nationale".
Il eût fallu, plutôt que de tomber dans un piège aussi grossier, que le gouvernement pût répondre : "Non, nous ne la convoquerons pas, parce que vous avez travaillé à en faire un instrument de désorganisation ce qu'elle n'était déjà que trop disposée à devenir". Un tel langage eût fait scandale mais économisé bien des ennuis.
En haut lieu, d'ailleurs, on avait des illusions sur l'état d'esprit de la milice bourgeoise, on se fiait aux protestations répétées du général Jacqueminot qui croyait que son dévouement était partagé par tous ses subordonnés.
Le Roi, dans l'esprit duquel la lecture de certains rapports avait fini par jeter le trouble, avait envoyé le ministre de la Guerre à l'état-major pour avoir très nettement ce qu'on devait attendre de la garde nationale.
"Vous pouvez dire au Roi, répondit Jacqueminot, que sur 384 compagnies, il y en a six ou sept mal disposées, mais que toutes les autres sont sincèrement attachées à la monarchie".
Informé de cette réponse, le Roi s'était borné à dire : "Six ou sept mauvaises! Oh, il y en a bien 17 ou 18!" C'est sur ces assurances données qu'on s'était décidé à faire battre le rappel la veille au soir avec le résultat médiocre que l'on sait.

Ce premier essai n'était pas un encouragement à recommencer. Cependant, le lendemain matin, quand l'armée a été remise en mouvement on n'a pas jugé possible de ne pas convoquer de nouveau la garde nationale. Celle ci n'avait-elle pas son rôle dans le plan d'occupation? Son absence aurait fait des vides matériels; elle aurait surtout fait un vide moral dont on craignait les conséquences dans l'opinion et auprès de la ligne.
La convocation avait été plus générale que la veille : ordre a été donné de battre le rappel dans tous les quartiers.
Ce n'est qu'une faible minorité qui vient prendre les armes. Ceux qui viennent sont-ils les hommes d'ordre qui considèrent qu'il est de leur intérêt de mettre fin aux troubles? Non, par un phénomène étrange, à l'appel du gouvernement, les alliés naturels de ce dernier, les conservateurs, qui au fond forment la majorité des légions, ne répondent qu'en petit nombre. Presque tous restent chez eux, indolents, rassurés ou boudeurs.
Les opposants, au contraire, accourent avec empressement. C'est que, de ce côté, il y a un mot d'ordre : se réunir en armes et crier "Vive la réforme!"

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Au sein de la garde, les mécontents se préparent.

En effet, à peine les gardes nationaux sont-ils arrivés à leurs divers points de rassemblement que, de leurs rangs, s'élèvent des voix demandant que la garde s'interpose entre le gouvernement et le peuple, que l'on oblige le Roi à changer ses ministres, que l'on exige la réforme. L'idée trouve faveur.
Beaucoup, pour rien au monde, ne voudraient jeter bas la charte et la monarchie, mais ils pensent faire œuvre de pacification et il ne leur déplaît pas de donner une leçon à un gouvernement qui n'est pas de leur couleur. Ce qui sont d'un avis contraire se croient en minorité (et ils le sont peut-être) et se taisent.

C'est vers 10 ou 11 heures que la plupart des légions se mettent en mouvement. La 1ère (Champs-Elysées, place Vendôme) est la seule où les réformistes échouent, elle siffle au contraire les députés de la gauche.
La 2nde (Palais Royal, Chaussée d'Antin, Montmartre) arrive sur ses positions après une longue promenade, escortée par une foule avec laquelle elle chante la Marseillaise et crie "Vive la Réforme!".
La 3è (Montmartre, Poissonnière) se jette entre les insurgés et les gardes municipaux, forçant ces derniers à rentrer dans leurs caserne. Plus tard, elle croise les baïonnettes devant les cuirassiers qui se disposaient à dégager la place des Victoires. Enfin, elle parcourt les environs en criant "Vive la Réforme! A bas Berryer!"
La 4è (Louvre) signe une pétition pour demander la mise en accusation du Ministère et entreprend de la porter au Palais Bourbon. Arrêtée par un bataillon fidèle de la 10è légion, elle la remet à un groupe de députés de gauche qui accourent devant elle.
La 5è (Bonne-Nouvelle, faubourg Saint Denis) fait comme la 2nde et empêche les municipaux de charger.
La 6è (Temple) se prononce pour la Réforme.
La 7è (Hôtel de Ville) somme le Préfet de faire savoir au Roi que s'il ne cède pas, aucune force humaine ne pourra prévenir une collision entre la garde nationale et la troupe.
La 10è (Saint Germain) est divisée. Un bataillon protège la Chambre, un autre acclame la réforme et refuse d'obéir au colonel.

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En de nombreux endroits, garde nationaux et émeutiers fraternisent.

En somme, presque toutes les légions se sont prononcées contre le gouvernement.
Les manifestants sont-ils une minorité, si l'on tient compte de ceux qui sont restés chez eux? En tout cas, ils sont les seuls à se montrer, à crier et à agir. Sans doute aussi la grande majorité n'a pas conscience de ce qu'elle fait.
L'effet en est immense, la situation absolument changée.

Une émeute misérable, infime, décousue, sans chefs, désavouée par les révolutionnaires et les radicaux eux-mêmes, devient soudainement importante et se sent enhardie du moment où la garde nationale l'a prise sous sa protection.
L'armée, qui jusque ici a combattu avec résignation mais sans hésiter, est désorientée, ébranlée. Dans le quartier Saint-Denis, au moment où la garde nationale se montre, un passant demande à un officier: "Est-ce que l'émeute est sérieuse?"
L'officier lève les épaules et répond "Ce ne sont point les émeutiers que je redoute mais la garde nationale qui, si cela continue, va s'amuser à nous tirer dans le dos."
Au même moment, sur la place de l'Odéon, deux détachements de la ligne et de la garde nationale sont côte à côte. Les commandants se saluent. "Que ferez-vous si une troupe du peuple se présente? demande l'officier de la garde.
- Je ferai comme vous répond l'officier de la ligne.
- Mais moi je ne disperserai pas, je laisserai passe.
- Je ferai comme vous, mes soldats feront ce que fera la garde nationale."

Si fâcheux que soit l'encouragement aux factieux et le découragement jeté dans l'armée, la conduite de la garde nationale devait avoir des conséquences plus graves encore au sommet de l’État.
Modifié en dernier par Emp_Palpatine le dim. oct. 07, 2018 9:10 am, modifié 3 fois.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Azerty »

Cela ressemble de plus en plus à une garde Internationale qu'autre chose... :o:
"Les cimetières sont remplis de gens irremplaçables." Alphonse Allais.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par GA_Thrawn »

Bien...cette fois la monarchie est perdue...
Il est temps de faire ce petit voyage à Meudon dont je parlais tantôt. Cela me permettra de jauger la situation d'un terrain plus confortable et de revenir si les évènements s'accélèrent
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Chef Chaudard »

La tranquillité n'est qu'apparente ...
La société secrète de la Griffonerie, seondée par des étudiants faméliques et des ouvriers affamés, se prépare au renversement du régime honni.
- On se bat, on se bat, c'est plutôt qu'on est comme une espèce de poste avancé, quoi. Dans le cas que... comprenez, une supposition, que les Allemands reculent, crac, on est là!
- Pour les empêcher de reculer...
- Non, pour euh..., la tenaille quoi.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

La journée du 27 mai 1848, 2ème partie.

Effet produit par la défection de la garde nationale au Palais. Discussions de Louis-Philippe. Renvoi du ministère. Emotion à la Chambre. M. Molé est chargé de former un nouveau gouvernement. Accueil fait à cette nouvelle par l'émeute.


Quand arrivent aux Tuileries les premières nouvelles de la défection de la garde nationale, on ne veut d'abord pas y croire. Les rapports se succèdent cependant, de plus en plus affirmatifs et alarmants. Du palais lui-même on entend les cris de la seconde légion massée sous les fenêtres du pavillon de Marsan, l'on voit défiler sur le quai la quatrième légion portant une pétition à la Chambre. Puis voici des amis connus, M. Horace Vernet, M. Besson, pair de France, le général Friant, qui racontent de visu les scènes de la place des Victoires et comment les gardes nationaux ont croisé la baïonnette contre les cuirassiers.
Cette fois, les optimistes sont atterrés. On avait toujours pensé que la garde nationale était le rempart de la monarchie et l'on s'était habitué à le dire plus encore qu'on ne le pensait. Du moment où elle passe à l'émeute, que devenir? Plusieurs officiers de la garde ont pénétré dans le château, dans un grand moment d'effarement et d'exaltation, criant très haut qu'ils sont prêt à se faire tuer pour le Roi mais que le ministère est haï, ils assurent que si le gouvernement est congédié, la garde nationale fera tout rentrer dans l'ordre.

Bien sûr, le ministère avait au Palais, jusqu'à son sommet, de nombreux adversaires. L'unité affichée dans les troubles n'était que de façade, le soupçon de déloyauté pesant toujours sur les Légitimistes, souvent à raison. Ces nouvelles servent d'argument: "par fidélité aux principes parlementaires et par loyauté à la parole donnée, disent-ils, faut-il exposer la monarchie à périr?"
Ils trouvent un puissant allié auxiliaire dans la Reine Marie-Amélie. L'agitation des dernières semaines l'avait rendue impatient de voir son mari avoir recours au remède qu'elle croyait efficace contre l'émeute et les dangers non-dits, venant de la Chambre elle-même, pour l'accession au Trône de son petit-fils.
Peu habituée à entretenir son époux des affaires politiques mais terrifiée des nouvelles qu'on lui apporte le 28, elle accourt, éplorée, auprès du Roi et emploie toutes les ressources de sa tendresse pour lui faire partager ses émotions et ses inquiétudes, le conjure de se séparer d'un cabinet dont l'existence lui paraît mortelle pour la monarchie - et pas seulement par l'émeute.

Plus tôt encore, Louis-Philippe eût éconduit la Reine en lui donnant affectueusement à entendre qu'elle se mêlait de choses qui n'étaient pas de sa compétence. Mais depuis qu'il avait appris la trahison de la garde nationale, il est bien changé. Rien ne subsiste plus de son optimisme et de l'ironie avec lesquels il recevait les alarmistes.

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La reine Marie-Amélie. En l'absence de feux le Duc d'Orléans et de Mme Adélaïde, son pessimisme influença Louis-Philippe.

Il est étourdi, affaissé sous le coup qui le frappe et auquel il ne s'attendait pas. Il n'ignore certes pas que l'armée est toujours maîtresse de ses positions, que nulle part elle n'a fait défection, que sa supériorité demeure évidente. Mais il se rend compte que s'il veut continuer la lutte, il doit engager à fond la troupe, se débarrasser de la garde nationale et donner au besoin l'ordre de tirer sur elle.
Cette perspective le fait frémir. On l'entend se répéter à lui-même " j'ai vu assez de sang!" Ne lui affirme-t-on pas d'ailleurs dans son entourage le plus intime et le plus cher que s'il consent à donner satisfaction aux gardes nationaux, l'ordre sera rétabli sans que le sang ne coule? C'est toucher une de ses cordes sensibles. Un tel sentiment faisait honneur à son cœur mais dans ce cas particulier, était-ce bien raisonné?
Les défaillances des souverains, par les conséquences qu'elles entraînent, ne coûtent-elles pas souvent beaucoup plus de sang que n'en feraient répandre de plus énergiques résistances?

On peut encore indiquer deux causes de l'hésitation qui se manifeste chez le Roi. Il semble avoir eu sur son droit à se défendre par les armes un doute qui ne se fût certes pas présenté autant à l'esprit d'un prince légitime s'appuyant sur un titre ne dépendant pas d'une désignation populaire. Au moment de réprimer par la force la sédition de la bourgeoisie parisienne, il s'arrête, anxieux, à la pensée qu'il a reçu la couronne de ses mains. Il n'ose pas faire violence à l'égarement passager de ceux dont il croit tenir son pouvoir. "Est-ce que je pouvais faire tirer sur mes électeurs?" aurait-il déclaré plus tard. Après tout, n'est-ce pas l'un des phénomènes du siècle que la foi au droit monarchique semble être plus ébranlée dans le coeur des rois que dans celui des peuples?
N'oublions pas enfin que Louis-Philippe avait alors 74 ans. Les vicissitudes de la vie ont usé son énergie et sa volonté. Certains ont vu dans son obstination à voir arriver le danger moins de fermeté que de sénilité et on ne pouvait s'étonner que cette même sénilité tournât en défaillance. Enfin, le Roi savait ses dernières années arrivées et s'inquiétait de sa succession face à une Chambre et un cabinet où la force de l'élément Légitimiste faisait craindre une révolution de palais à sa mort. N'y avait-il pas l'occasion de se débarrasser du ministère voire de la majorité et de clôturer son règne sous un ciel politique plus favorable aux droits du Comte de Paris?

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Louis-Philippe est en 1848 un vieil homme, marqué par la perte de son fils aîné et de sa sœur.

Vers quatorze heures, M. Guizot arrive aux Tuileries avant de se rendre à la Chambre. Aussitôt entré dans le cabinet du Roi, il est interrogé sur la situation. Il répond que l'affaire est plus sérieuse que la veille mais qu'avec de l'énergie on s'en sortira. Le Roi, soucieux mais emprunt d'une apparente décision, lui répond qu'il "y aurait peut-être lieu de convoquer sur le champ le conseil des ministres". M. Guizot, comprenant le sens de la phrase royale, lui répond que la Chambre est assemblée et ne saurait rester sans ministres surtout face à l'émeute. Louis-Philippe maintient ses propos et demande à M. Guizot, ami de longue date de la dynastie et de la monarchie de juillet, "d'aller trouver sans perdre un instant M. Berryer" et de l'amener au Palais.

M. Guizot court à la Chambre, réunie depuis peu de temps, mais dans une agitation ne permettant pas les délibérations. Il parvient à prévenir M. Berryer qui sort précipitamment de la salle, monte dans sa voiture et se dirige vers les Tuileries. ll est environ 14H30 quand MM. Guizot et Berryer entrent dans le cabinet du Roi qui a, auprès de lui, la Reine, le duc de Nemours et le duc de Montpensier. Le Roi expose la situation, s'appesantit sur la gravité des circonstances, parle de son désir de respecter les institutions et qu'il aimerait mieux abdiquer que de violer la majorité parlementaire.
" Tu ne peux pas dire cela, interrompt la Reine, tu te dois à la France; tu ne t'appartiens pas. -C'est vrai, répond-il, je ne puis donner ma démission".
Les ministres comprennent que la résolution du Roi est prise de se séparer du gouvernement. M. Guizot, sentant la fragile et contre-nature alliance entre Légitimiste et orléanistes conservateurs exploser, proteste de la loyauté de la plupart des ministres et députés, de leur volonté de défendre jusqu'au bout le Roi et les institutions et à accepter sans plainte le parti que le Roi prendrait, notamment s'il appelait d'autres hommes au pouvoir. Après des années de gouvernement Berryer et d'influence Légitimiste à la Chambre, la tentation est trop forte.
Berryer, quant à lui, la mine sombre, proteste en vain de sa loyauté et de celle de ses députés au serment prêté et à la parole donnée, de leur exécration du désordre, de l'inopportunité de diviser alors que l'émeute secoue Paris.
A la fin de l'entretien, le Roi laisse de côté toute précaution de langage : "C'est avec un amer regret que je me sépare de vous, mais la nécessité et le salut de la monarchie nécessitent ce sacrifice."
Le Roi indique son attention d'appeler M. Molé, Orléaniste du centre gauche, prélude d'une alliance entre orléanistes "conservateurs" et gauche dynastique favorable à la Réforme. M. Berryer proteste du viol qu'il perçoit de la volonté de la Chambre et qu'il ne répondra plus du comportement des députés de son parti, M. Guizot ne fait aucune objection, la résolution royale étant ce qu'il appelait de ses voeux depuis quelques temps.

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Berryer est en 1848 un homme vieilli par le pouvoir et les compromissions. Il ne manifesta pas sa combativité habituelle face à Louis-Philippe. Tablait-il sur une vengeance par le biais de la Chambre ou avait-il baissé les bras?

La Chambre, intriguée du départ précipitée de M. Berryer, était de plus en plus agitée. Un député veut interpeller le ministère sur la convocation tardive de la garde nationale, on attend le retour du président du conseil. Voici enfin M. Berryer, pâle et contrarié. Il gagne lentement la tribune et avec une gravité triste et fière "Le Roi vient de faire appeler M. le comte Molé pour le charger...."
Des bancs de la gauche et du centre partent des exclamations de triomphe, une partie de la droite ne cache pas sa satisfaction. L'alliance se dessine. A droite, la majorité conservatrice et légitimiste se déchaîne. La Chambre sombre dans le chaos.
Alors que l'interruption s'atténue, M. Berryer reprend "Le Roi vient d'appeler M. Molé pour le charger de former un nouveau cabinet. Tant que le cabinet actuel sera chargé des affaires, il maintiendra l'ordre et fera respecter les lois avec loyauté comme il l'a toujours fait."

A peine est-il descendu de la tribune que des bancs de l'ex-majorité les députés se précipitent, la colère dans les yeux, l'injure à la bouche. "C'est indigne, c'est une lâcheté! On nous trahit! Aux Tuileries!"
Sur les bancs, M. Calmon, ancien directeur général de l'enregistrement, dit à son voisin M. Muret de Bord, ami de Guizot, "Citoyen Muret, dites à la citoyenne Muret de préparer ses paquets; la république ne nous aimera pas..."
Du côté de l'ex-opposition, si l'on triomphe avec joie, quelques uns sont soucieux. M. de Rémusat "C'eût été plus facile si nous étions arrivés par un mouvement de la Chambre; qui peut mesurer les conséquences d'un mouvement dans la rue?".
M. Thiers se fait raconter l'entrevue royale. "Ah, reprend-il avec une joie contenue, il a eu peur!"

A 16h, M. Berryer et ses collègues se réunissent une dernière fois chez le Roi, afin de prendre congé. Louis-Philippe se plaint des critiques et des insultes qui ont émané de la Chambre elle-même. "Il y a à cela, dit-il, une grande injustice. J'ai pensé à mon grand regret que l'intérêt de la monarchie exigeait ce changement; jusqu'à dans le cabinet certains ont partagé mon avis." Hypocrisie royale quand l'occasion était trop bonne de se débarrasser d'une majorité gênante? Trouble réel?
En tout cas, sur ce changement de cabinet opéré en pleine émeute, il ne saurait y avoir plusieurs manières de voir. Que le Roi euût mieux fait de se séparer de M.Berryer, y compris avant l'émeute, c'est une opinion qui peut se soutenir : refuser obstinément toute promesse de réforme, soutenir du bout des lèvres la dynastie, jouer l'opposition contre elle puis se présenter en gardien en interdisant le banquet, engager le combat puis abandonner, voilà qui ne saurait s'expliquer par une lamentable défaillance. Tout ce qui va suivre ne sera que la suite directe. Le signal est donné à immense "lâchez-tout" après lequel il n'y aura plus moyen de rien retenir. L'histoire de la monarchie de Juillet pourrait se terminer : l'explosion des contradictions accumulées depuis huit ans et la révolution qui a cause gagnée.

Du moment où l'on a pris le parti de la capitulation, au moins faudrait-il en recueillir les bénéfices. Pour cela, il faut procéder franchement et vivement, sans arrière-pensée ni marchandage et avancer tout de suite jusqu'au point où l'on pourra frapper l'imagination populaire. Telle ne paraît pas être la disposition du Roi qui semble regretter au fond ce qu'il a fait. Il n'a qu'une préoccupation, restreindre ses concessions et s'arrêter le plus tôt possible. C'est dans ce dessein qu'il a appelé M. Molé avant M. Thiers.
Ce dernier était à la Chambre des Pairs tandis que le Roi le faisait chercher. Il n'arrive aux Tuileries qu'après 16 heures. Louis-Philippe lui expose les faits. "Sire, répond M. Molé, je remercie le Roi de sa confiance mais au point où en sont les choses, je ne puis rien. Il faut reconnaître que les banquets l'emportent. Le seul conseil que je peux donner au Roi, c'est d'appeler MM. Thiers et Barrot. La maison brûle, il s'agit d'appeler ceux qui peuvent éteindre le feu."
Pressé par le Roi, M. Molé présente malgré tout un projet de cabinet et promet de voir ses amis et d'essayer de constituer un cabinet.

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Mathieu Louis, Comté Molé, figure du centre favorable à la réforme.

Avant même que M. Molé ait vu le Roi, des gardes nationaux à cheval et beaucoup d'autres messagers se sont répandus dans les rues pour annoncer le changement de cabinet. Les gardes nationaux sont flattés de l'avoir emporté et pensent que tout est fini bien que chez les radicaux on considère bien sûr la concession comme insuffisante et on commence à entrevoir des chances auxquelles on ne croyait pas avant. Malgré tout, sauf sur quelques points, une suspension d'armes se produit.

Alors que M. Molé passe sa soirée à démarcher les modérés et les libéraux, la foule circule en bandes dans la ville, criant, chantant, fêtant sa victoire. A certains, l'idée est venue d'exiger l'illumination des fenêtres. Les habitants, entraînés ou intimidés obéissent, le spectacle attire les curieux. Un air de fête s'empare de la ville, tout forcé que fut cet air.

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L'émeute est finie, les émeutiers fêtent leur victoire dans les rues de Paris.

A dix heures du soir, le 27 mai, l'émeute semble enfin maitrisée. Aux Tuileries, malgré les vicissitudes liées à la formation du cabinet, on reprend un peu d'optimisme : la garde nationale est ralliée et chassera les radicaux qui n'auraient pas quitté la rue le lendemain. Le sacrifice de Berryer est finalement une bonne affaire, levant l'hypothèque de la succession et calmant l'émeute au prix d'une prise de risque constitutionnelle. La Chambre? On s'en occupera demain et on la craint moins que l'émeute.
L'affaire est sauvée.
Modifié en dernier par Emp_Palpatine le dim. oct. 07, 2018 9:11 am, modifié 1 fois.
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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griffon
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par griffon »

:lolmdr:

C'est le feuilleton de l'année , au sens du 19ème siècle j'entend ,

un résumé de tete de chapitre bien dans l'air du temps

un luxe de détail "fouillés" (je vérifie l'historicité à chaque lecture , l'autre jour je me suis "paluché" l'histoire de la police en France

à cause d'un détail sur les "municipaux" , ce qui m'a permis d'apprendre que le caractère "national" de notre police est tout récent et pas vraiment

représentatif de l'histoire de cette corporation :lolmdr: )

Bref on s'amuse et le meilleur est la fin de chapitre qui vous laisse sur votre soif !

Que va t'il se passer la semaine prochaine ?

Le roi va t' il sauver sa tete couronne ?

Et dans le futur proche ?

La branche légitime va t'elle prendre le contrôle du pays ? Va t'elle s’allier aux états du sud des USA lors d'une guerre civile annoncée ? Contre la Prusse ?

Le conflit va t'il s'étendre à l'Europe ? Le Baron Thrawnac va t'il continuer à surfer sur l'histoire ? Va t'il disparaître dans ses poubelles ?

Que de questions ? :?
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Au printemps, je vais quelquefois m'asseoir à la lisière d'un champ fleuri.
Lorsqu'une belle jeune fille m'apporte une coupe de vin , je ne pense guère à mon salut.
Si j'avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu'un chien

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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Chef Chaudard »

Et quel va être le destin de Foutriquet, qui commence à pointer sa sale trogne ?
- On se bat, on se bat, c'est plutôt qu'on est comme une espèce de poste avancé, quoi. Dans le cas que... comprenez, une supposition, que les Allemands reculent, crac, on est là!
- Pour les empêcher de reculer...
- Non, pour euh..., la tenaille quoi.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

griffon a écrit : lun. sept. 24, 2018 4:39 pm :lolmdr:

C'est le feuilleton de l'année , au sens du 19ème siècle j'entend ,

un résumé de tete de chapitre bien dans l'air du temps
J'aime beaucoup cette manie qui a perduré jusqu'au début du XXème de mettre des sous-titres en tête de chapitre. :P
Et comme je me suis dit que si un jour je publiais un truc, je reprendrais la tradition, je le fais ici!
Merci de l'avoir remarqué!
un luxe de détail "fouillés" (je vérifie l'historicité à chaque lecture , l'autre jour je me suis "paluché" l'histoire de la police en France

à cause d'un détail sur les "municipaux" , ce qui m'a permis d'apprendre que le caractère "national" de notre police est tout récent et pas vraiment

représentatif de l'histoire de cette corporation :lolmdr: )
Oui, la Police Nationale est une création Vichyste. Une pierre de plus dans le jardin de ceux qui nient la légalité du régime, d'ailleurs. :mrgreen:

Pour le reste, en ce qui concerne les chapitres liés aux événements en cours, une grande partie du texte vient de la monumentale Histoire de la Monarchie de Juillet de Thureau-Dangin. Il est très difficile autrement d'avoir des détails sur le déroulement exact des journées. Je me permets des adaptations et des ajouts.
A noter que Thureau-Dangin mais aussi De la Gorce (pour la 2nde république et l'Empire) sont téléchargeables sur Gallica. :signal:

Bref on s'amuse et le meilleur est la fin de chapitre qui vous laisse sur votre soif !

Que va t'il se passer la semaine prochaine ?

Le roi va t' il sauver sa tete couronne ?

Et dans le futur proche ?

La branche légitime va t'elle prendre le contrôle du pays ? Va t'elle s’allier aux états du sud des USA lors d'une guerre civile annoncée ? Contre la Prusse ?

Le conflit va t'il s'étendre à l'Europe ? Le Baron Thrawnac va t'il continuer à surfer sur l'histoire ? Va t'il disparaître dans ses poubelles ?

Que de questions ? :?
Merci en tout cas, la suite bientôt!
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

Le boulevard des Capucines et le sinistre convoi


La nuit venue, des bandes circulent, criant, chantant, portant des torches et des lanternes; encourageant et souvent forçant les illuminations dans les rues.
Le spectacle a attiré beaucoup de curieux dans les rues. Vers huit heures et demie, une bande s'est formée du côté de la Bastille et s'est engouffrée dans les boulevards: en tête, quelques officiers de la garde nationale dont l'un porte l'épée nue; puis un pêle-mêle de gardes nationaux, de bourgeois, d'ouvriers. Parmi cette foule, quelques figures menaçantes et comploteuses. Des drapeaux flottent au dessus de la masse et sur les flancs, des gamins agitent des torches.

Cette foule avance en chantant la Marseillaise et grossit à chaque pas. En plusieurs points, elle rencontre sur les boulevards des régiments de ligne, de cavalerie ou d'artillerie qui la laissent passer.
Voici qu'arrivée au boulevard des Capucines, il était environ neuf heures et demi, elle voit devant elle la chaussée complètement occupée par un bataillon du 14ème de ligne, derrière lequel on aperçoit les casques d'un détachement de dragons. Cette mesure avait prise pour défendre les abords du ministère des Affaires étrangères qui, depuis la veille, avait été plusieurs fois menacé par l'émeute. Pour éviter tout risque de contact trop direct entre le peuple et la Ligne, on avait pris soin de placer devant un bataillon de la garde nationale mais, par une fatale malchance, ce bataillon avait quitté ses positions quelques instants auparavant pour aller protéger le ministère de la Justice.
Les hommes qui sont au premier rang de la foule viennent donc buter à la ligne immobile des soldats, pressés par ceux qui arrivent derrière eux. Ils requièrent alors impérieusement qu'on leur livre passage. Le Lieutenant-colonel leur répond avec patience, en alléguant les ordres qu'il a reçus : "Mes enfants, leur dit-il, je suis soldat, je dois obéir; j'ai reçu la consigne de ne laisser passer personne et vous ne passerez pas. Si vous voulez aller plus loin, prenez la rue Basse-du-Rempart."
Et comme la rue criait : Vive la ligne! "Je suis très touché de votre sympathie, mais je dois faire exécuter les ordres. Je ne puis vous laisser passer."

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Représentation naïve de la confrontation du boulevard des Capucines.

Cependant, la poussée venant de la queue devenait de plus en plu forte. Des trottoirs, les badauds criaient "ils passeront, ils ne passeront pas!"
Des clameurs s'élèvent de la bande : "A bas Berryer! Vive la Réforme!" Vive la Ligne! Illuminez!" Le tumulte est au comble. Le Lieutenant-colonel, insulté, menacé, voyant ses hommes sur le point d'être forcés, rentre dans le rang et ordonne de croiser la baïonnette.

A ce moment, un coup de feu part; quelques autres suivent; puis sans qu'aucun ordre n'ait été donné, tous les soldats, se croyant attaqués, lâchent leur salve sur la foule.
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Celle-ci s'enfuit en poussant un cri d'horreur et d'effroi.

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En même temps, les soldats sont eux aussi pris de panique malgré le Lieutenant-colonel qui leur crie "14ème, vous vous déshonorez!", ils se précipitent en désordre dans toutes les rues adjacentes; les dragons détalent vers la Madeleine.
Le chaussée reste déserte, jonchée de lanternes, de torches, de drapeaux, de chapeaux, de cannes, de parapluies, d'armes et, au milieu de mares de sang, gisent une cinquantaine de morts et de blessés. Ce n'est qu'au bout de quelques instants que les soldats reviennent, honteux, et que du côté de la foule plusieurs personnes se hasardent à secourir les victimes.

Comment expliquer cette catastrophe? D'où est parti le premier coup de feu devenu le signal d'une décharge générale? Sur le moment, on ne l'a pas su et ce mystère a donné naissance à beaucoup de suppositions. Les uns ont cru que le coup venait du côté de la foule et en ont donné pour preuve qu'un soldat figurait parmi les morts. On a même précisé et dit que l'auteur était un certain Lagrange, fanatique du parti démagogique, qui aurait cherché à rendre tout pacification impossible. Mais à cette heure, Lagrange était au Gros-Caillou.
D'autres ont raconté que le coup avait été tiré par les agents du prince Napoléon, fils du roi Jérôme, si ce n'est pas le prince lui-même. Bien qu'on ait été, paraît-il, jusqu'à se vanter de quelque chose de ce genre dans certains milieux bonapartistes, cette version ne paraît pas plus crédible que la première. Le prince Napoléon a pu faire montre de zèle révolutionnaire, sans doute pour remercier Louis-Philippe de l'accueil qui avait été fait aux sollicitations de son père et aux siennes, mais aucune preuve de son rôle n'existe.

D'après une explication plus simple et donc plus plausible, le coup de feu aurait été tiré par un sergent du 14ème, nommé Giacomoni, Corse d'origine et dévoué pour son Lieutenant-Colonel. Voyant ce dernier insulté et menacé par une sorte d'énergumène qui faisait le geste de le frapper avec sa torche, il avait une première fois ajusté le provocateur. Il s'est dit qu'un radical du parti démagogique, bien connu des arrières-salles de café et de la sûreté avait excité l'esprit du provocateur. Reconnaissable à sa barbe foisonnante, il était souvent flanqué d'un compère œuvrant en chaudronnerie. Selon des témoins, il aurait interpelé le provocateur en ces termes:

"Eh, citoyen, tu devrais utiliser la lumière que tu transportes

Pour éclairer un peu les idées du citoyen Lieutenant-colonel

et apporter de la clarté à l'esprit des lignards

qui pensent devoir servir le Tyran et non le peuple! :D "



Un capitaine avait relevé vivement le fusil du brave soldat tenant en respect le provocateur : "Êtes-vous fou?
- Puisqu'on veut faire du mal au Lieutenant-Colonel, je dois le défendre, pas vrai?
- Restez tranquille!", reprit l'officier.
A plusieurs reprises, la même scène se renouvela.
A la fin, devant une provocation plus menaçante du porteur de torche, Giacomoni n'y tint plus et lâcha son coup. Croyant l'ordre donné ou se croyant attaqué, le reste des rangs lâcha sa salve avec les conséquences que l'on sait.

Aussitôt le premier moment de terreur passé, la foule est revenue sur le boulevard. La colère est extrême. Vainement, la troupe stupéfaite et atterrée témoigne-t-elle ses regrets. Vainement, le Lieutenant-Colonel envoie-t-il un de ses officiers expliquer que tout a été le résultat d'un horrible malentendu.
On ne veut rien écouter et le messager manque d'être écharpé. Les hommes des sociétés secrètes ont compris tout de suite le parti à tirer de ce qu'ils osent appeler "une bonne aubaine" : ils s'appliquent à échauffer et à exploiter cette colère et surtout à la propager dans la ville entière.

Un fourgon qui passe là, conduisant des voyageurs au chemin de fer de Rouen, est arrêté, déchargé. On y entasse seize cadavres et le lugubre convoi se met en route en direction de la Bastille.

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Le fourgon funèbre est chargé.

Des ouvriers, debout sur les rebords de la voiture, agitent leurs torches et en projettent la lueur sur les corps défigurés, souillés et sanglants. Parfois, ils en soulèvent et les dressent pour mieux les faire voir.
"Vengeance! Crient-ils, vengeance! On égorge le peuple! Aux armes! Aux barricades!"
Des individus courent aux églises et sonnent le tocsin. On clame que le sang du peuple a coulé et qu'il doit être vengé.
Le chariot continue sa marche, parcourt les quartiers Saint-Denis, Poissonnière, Montmartre, passe par les Halles, le quartier Saint-Martin et vient enfin déposer les corps à la mairie du 4ème arrondissement. Il est deux heures du matin.

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Le sinistre fourgon traverse la capitale. C'est la "promenade des cadavres".

Il y a trois heures que cette tragique procession circule dans Paris sans que personne n'ose l'arrêter. Elle a laissé derrière elle une longue traînée de colère, de haine et d'horreur. Le peuple redescend en masse dans la rue et, malgré la pluie et la nuit, s'emploie à hérisser des barricades dans les quartiers du centre. Les uns ramassent des armes en pillant des armuriers ou en obligeant les habitants à leur livrer des fusils. D'autres fondent des balles et fabriquent des cartouches.
Partout, la bataille se prépare. Sur quelques endroits, des bandes n'attendent pas le jour pour attaquer les postes de municipaux ou de la ligne...
Pour beaucoup, ces quelques instants sur le boulevard des Capucines furent une de ces heures qui détournent tout un siècle.
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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