A toutes les gloires de la France.

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Emp_Palpatine
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

Soult n'est pas un Deus ex machina. :notice:
Il a fait partie de nombreux gouvernements de la Monarchie de juillet et été PM plusieurs fois. Il servait à Louis-Philippe quand il ne savait pas trop qui nommer et voulait un homme de service.

Dans ma partie, je l'ai bombardé président du conseil en 1841 pour être le prête-nom de Berryer. En 1845, je l'ai fait passé "co-président", toujours ministre des affaires étrangères (fiction, c'est Louis-Philippe qui gère le bouzin), binôme théorique avec Berryer, mais évoqué dans un interligne assez rapide.
En gros, en 1841, Berryer est "ministre d'Etat, sans portefeuille", Soult est PdC. En 1845, pas de PdC en titre, tout le monde sait que c'est Berryer donc la fiction Soult n'a plus lieu d'être. :o:
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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Emp_Palpatine
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

Allez, en attendant la suite (ce soir ou demain, selon mon courage), un interlude venu d'un témoin direct:
Victor Hugo, Choses vues

28 mai.

Au jour, je vois, de mon balcon, arriver en tumulte devant la mairie une colonne de peuple mêlé de garde nationale. Une trentaine de gardes municipaux gardaient la mairie. On leur demande à grands cris leurs armes. Refus énergique des gardes municipaux, clameurs menaçantes de la foule. Deux officiers de la garde nationale interviennent : — À quoi bon répandre encore le sang ? toute résistance serait inutile.
Les gardes municipaux déposent leurs fusils et leurs munitions et se retirent sans être inquiétés.

Le maire du VIIIe arrondissement, M. Ernest Moreau, me fait prier de venir à la mairie. Il m’apprend la terrifiante nouvelle du massacre des Capucines. Et, de quart d’heure en quart d’heure, d’autres nouvelles arrivent de plus en plus graves. La garde nationale prend décidément parti cette fois contre le gouvernement et crie : Vive la Réforme ! L’armée, effrayée de ce qu’elle-même avait fait la veille, semble vouloir se refuser désormais à cette lutte fratricide. Rue Sainte-Croix-la-Bretonnerie, les troupes se sont repliées devant la garde nationale. On vient nous dire qu’à la mairie voisine du IXe arrondissement les soldats fraternisent et font patrouille avec les gardes nationaux. Deux autres messagers en blouse se succèdent : — La caserne de Reuilly est prise. — La caserne des Minimes s’est rendue.

— Et du gouvernement, je n’ai ni instruction, ni nouvelles ! dit M. Ernest Moreau. Quel est-il seulement, ce gouvernement ? Le ministère Molé existe-t-il encore ? Que faire ?
— Allez jusqu’à la préfecture de la Seine, lui dit M. Perret, membre du conseil général ; l’Hôtel de Ville est à deux pas.
— Eh bien, venez avec moi.

Ils partent. Je fais une reconnaissance autour de la place Royale. Partout l’agitation, l’anxiété, une attente fiévreuse. Partout on travaille activement aux barricades déjà formidables. C’est plus qu’une émeute, cette fois, c’est une insurrection. Je rentre. Un soldat de la ligne, en faction à l’entrée de la place Royale, cause amicalement avec la vedette d’une barricade construite à vingt pas de lui.


Huit heures un quart. M. Ernest Moreau est revenu de l’Hôtel de Ville. Il a vu M. de Rambuteau et rapporte des nouvelles un peu meilleures. Le roi a chargé Thiers et Odilon Barrot de former un ministère. Thiers n’est pas bien populaire, mais Odilon Barrot, c’est la Reforme. Par malheur, la concession s’aggrave d’une menace : le maréchal Bugeaud est investi du commandement général de la garde nationale et de l’armée. Odilon Barrot, c’est la Réforme, mais Bugeaud, c’est la répression.
Le roi tend la main droite et montre le poing gauche.

Le préfet a prié M. Moreau de répandre et de proclamer ces nouvelles dans son quartier et au faubourg Saint-Antoine.
— C’est ce que je vais faire, me dit le maire.
— Bien ! dis-je, mais croyez-moi, annoncez le ministère Thiers-Barrot et ne parlez pas du maréchal Bugeaud.
— Vous avez raison.


Le maire requit une escouade de la garde nationale, prit avec lui les deux adjoints et les conseillers municipaux présents et descendit sur la place Royale. Un roulement de tambours amassa la foule. Il annonça le nouveau cabinet.
Le peuple applaudit aux cris répétés de : — Vive la Réforme ! Le maire ajouta quelques mots pour recommander l’ordre et la concorde et fut encore universellement applaudi.
— Tout est sauvé ! me dit-il en me serrant la main.
— Oui, dis-je, si Bugeaud renonce à être le sauveur.

M. Ernest Moreau, suivi de son escorte, partit pour répéter sa proclamation place de la Bastille et dans le faubourg, et je montai chez moi pour rassurer les miens.


Une demi-heure après, le maire et son cortège rentraient émus et en désordre à la mairie. Voici ce qui s’était passé :

La place de la Bastille était occupée, à ses deux extrémités, par la troupe, qui s’y tenait l’arme au bras, immobile. Le peuple circulait librement et paisiblement entre les deux lignes. Le maire, arrivé au pied de la colonne de Juillet, avait fait sa proclamation et, de nouveau, la foule avait chaleureusement applaudi. M. Moreau se dirigea alors vers le faubourg Saint-Antoine. Au même moment, des ouvriers accostaient amicalement les soldats, leur disant : Vos armes, livrez vos armes. Sur l’ordre énergique du capitaine, les soldats résistaient. Soudain un coup de fusil part, d’autres suivent. La terrible panique de la veille au boulevard des Capucines va se renouveler peut-être. M. Moreau et son escorte sont bousculés, renversés. Le feu des deux parts se prolonge plus d’une minute et fait cinq ou six morts ou blessés.

Heureusement, on était cette fois en plein jour. À la vue du sang qui coule, un brusque revirement s’est produit dans la troupe, et, après un instant de surprise et d’épouvante, les soldats, d’un élan irrésistible, ont levé la crosse en l’air en criant : Vive la garde nationale ! Le général, impuissant à maîtriser ses hommes, s’est replié par les quais sur Vincennes. Le peuple reste maître de la Bastille et du faubourg.

— C’est un résultat qui aurait pu coûter plus cher ; à moi surtout, disait M. Ernest Moreau. Et il nous montrait son chapeau troué d’une balle. Un chapeau tout neuf ! ajoutait-il en riant.


Dix heures et demie. — Trois élèves de l’École polytechnique sont arrivés à la mairie. Ils racontent que les élèves ont forcé les portes de l’École et viennent se mettre à la disposition du peuple. Un certain nombre d’entre eux se sont ainsi répartis entre les mairies de Paris.

L’insurrection fait des progrès d’heure en heure. Elle exigerait maintenant le remplacement du maréchal Bugeaud et la dissolution de la Chambre. Les élèves de l’École vont plus loin et parlent de l’abdication du roi.

Que se passe-t-il aux Tuileries ? Pas de nouvelles non plus du ministère, pas d’ordre de l’état-major. Je me décide à partir pour la Chambre des députés en passant par l’Hôtel de Ville, et M. Ernest Moreau veut bien m’y accompagner.

Nous trouvons la rue Saint-Antoine toute hérissée de barricades. Nous nous faisons connaître au passage et les insurgés nous aident à franchir les tas de pavés.

En approchant de l’Hôtel de Ville, d’où partait une grande rumeur de foule, et en traversant un terrain en construction, nous voyons venir devant nous, marchant à pas précipités, M. de Rambuteau, le préfet de la Seine. — Hé ! que faites-vous là, Monsieur le préfet ? lui dis-je.
— Préfet ! est-ce que je suis encore préfet ? répond-il d’un air bourru.
Des curieux, qui ne semblaient pas très bienveillants, s’amassaient déjà. M. Moreau avise une maison neuve à louer, nous y entrons, et M. de Rambuteau nous conte sa mésaventure.

— J’étais dans mon cabinet avec deux ou trois conseillers municipaux. Grand bruit dans le corridor. La porte s’ouvre avec fracas. Entre un grand gaillard, capitaine de la garde nationale, à la tête d’une troupe fort échauffée.
— Monsieur, m’a dit l’homme, il faut vous en aller d’ici.
— Pardon, Monsieur ; ici, à l’Hôtel de Ville, je suis chez moi et j’y reste.
— Hier, vous étiez peut-être chez vous à l’Hôtel de Ville ; aujourd’hui le peuple y est chez lui.
— Eh ! mais... — Allez à la fenêtre et regardez sur la place.
La place était envahie par une foule bruyante et grouillante où se confondaient les hommes du peuple, les gardes nationaux et les soldats. Et les fusils des soldats étaient aux mains des hommes du peuple. Je me suis retourné vers les envahisseurs et je leur ai dit :
— Vous avez raison, Messieurs, vous êtes les maîtres.
— Eh bien alors, a dit le capitaine, faites-moi reconnaître par vos employés. C’était trop fort ! J’ai répliqué : — Il ne manquerait plus que ça ! J’ai pris quelques papiers, j’ai donné quelques ordres, et me voici. Puisque vous allez à la Chambre, s’il y a encore une Chambre, vous direz au ministre de l’intérieur, s’il y a un ministère, qu’il n’y a plus, à l’Hôtel de Ville, ni préfet, ni préfecture.
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Locke »

Emp_Palpatine a écrit : mer. oct. 10, 2018 5:54 pm Soult n'est pas un Deus ex machina. :notice:
Il a fait partie de nombreux gouvernements de la Monarchie de juillet et été PM plusieurs fois. Il servait à Louis-Philippe quand il ne savait pas trop qui nommer et voulait un homme de service.

Dans ma partie, je l'ai bombardé président du conseil en 1841 pour être le prête-nom de Berryer. En 1845, je l'ai fait passé "co-président", toujours ministre des affaires étrangères (fiction, c'est Louis-Philippe qui gère le bouzin), binôme théorique avec Berryer, mais évoqué dans un interligne assez rapide.
En gros, en 1841, Berryer est "ministre d'Etat, sans portefeuille", Soult est PdC. En 1845, pas de PdC en titre, tout le monde sait que c'est Berryer donc la fiction Soult n'a plus lieu d'être. :o:
Bien entendu, je faisais surtout un trait d'humour au syndrome français du petit vieux sauveur de la nation :signal:
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par stratcom »

Le public s'impatiente. :o:
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griffon
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par griffon »

stratcom a écrit : jeu. nov. 08, 2018 9:05 am Le public s'impatiente. :o:
L'auteur est en "vacances de Novembre " :o:

Ne me demande pas ou ? :lolmdr:
SOL INVICTVS

Au printemps, je vais quelquefois m'asseoir à la lisière d'un champ fleuri.
Lorsqu'une belle jeune fille m'apporte une coupe de vin , je ne pense guère à mon salut.
Si j'avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu'un chien

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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Chef Chaudard »

L'artisan quincaillier Chaudard était allé se mettre lui aussi au vert pendant quelque temps (dans la région de Vesoul, où il a quelques attaches familiales), car les pandores louis-philippards venaient un peu trop fréquemment renifler les alentours de sa misérable masure. Il est désormais de retour dans la capitale, mais ne me demandez surtout pas où !
- On se bat, on se bat, c'est plutôt qu'on est comme une espèce de poste avancé, quoi. Dans le cas que... comprenez, une supposition, que les Allemands reculent, crac, on est là!
- Pour les empêcher de reculer...
- Non, pour euh..., la tenaille quoi.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

L'auteur est de retour et tâchera de reprendre le fil du récit sous peu. :o:
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Chef Chaudard »

aaaaaaahhh !!! Enfin !!!
:clap: :clap: :clap:
- On se bat, on se bat, c'est plutôt qu'on est comme une espèce de poste avancé, quoi. Dans le cas que... comprenez, une supposition, que les Allemands reculent, crac, on est là!
- Pour les empêcher de reculer...
- Non, pour euh..., la tenaille quoi.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

Le 28 mai - 2ème partie
Les Tuileries sont menacées. Chaos au cabinet, M. Barrot président du conseil. On commence à parler d'abdication. Démarche de M. de Girardin. Le Roi dit: «J'abdique.» Le Roi écrit son abdication.

Maîtresse de l'Hôtel de ville, l'émeute se porte vers les Tuileries. Sur la place du Carrousel, sur la place de la Concorde, autour du Palais-Bourbon et à l'École militaire, le gouvernement a encore sous la main huit à dix mille hommes de troupes: ce serait assez pour se défendre; car, du côté du peuple, les combattants résolus sont très peu nombreux. «Nous étions une poignée», a dit plus tard l'un d'eux.
Mais que peut-on attendre du soldat dans l'état moral où il se trouve, et surtout qui est en mesure et en volonté de lui donner une impulsion vigoureuse?
Le maréchal Bugeaud, partant toujours de cette idée qu'on doit agir seulement par la garde nationale, s'évertue à en chercher quelques compagnies un peu sûres, pour les placer aux abords du Carrousel. Quant au général de La Moricière, il se plaint de ne savoir où trouver la milice dont on lui a donné le commandement. Il est réduit à aller presque seul au-devant de l'émeute pour tâcher de la désarmer en lui annonçant les concessions faites; toujours en mouvement, il dépense à cette besogne beaucoup de courage personnel, sans grande efficacité.

Vers onze heures et demie, une bande d'hommes du peuple et de gardes nationaux arrive par les petites rues qui existaient alors entre le Palais-Royal et le Carrousel, débouche sur cette dernière place et s'avance hardiment devant les troupes rangées en bataille. Les Tuileries vont-elles donc être enlevées comme l'a été tout à l'heure l'Hôtel de ville?
Le maréchal Bugeaud est sur la place, entouré de quelques officiers. Il s'élance au-devant des envahisseurs et leur adresse des paroles énergiques. Sa figure martiale, l'intrépidité de son attitude les font hésiter. Toutefois, étant venu à se nommer:
«Ah! vous êtes le maréchal Bugeaud?» crient des voix menaçantes.
—«Oui, c'est moi!»
Un garde national s'avance et lui dit: «Vous avez fait égorger nos frères dans la rue Transnonain!
—Tu en as menti, répond avec force le maréchal; car je n'y étais pas.» L'homme fait un mouvement avec son fusil. Bugeaud le serre de près pour saisir son arme.
«Oui, s'écrie-t-il, je suis le maréchal Bugeaud! J'ai gagné vingt batailles. Retirez-vous.»
Sa contenance en impose aux émeutiers; quelques-uns même viennent lui serrer la main et la bande finit par se retirer. Mais pendant combien de temps peut-on espérer défendre les Tuileries par de tels moyens?

À l'intérieur du palais, le Roi ne s'est pas relevé de l'état d'abattement dans lequel il est rentré de la revue du Carrousel. Il est toujours assis sur un fauteuil, dans une salle du rez-de-chaussée. À côté de lui, ses deux fils et quelques-uns des ministres. Ceux-ci ne savent que faire, n'ont l'idée d'aucune initiative; on entend seulement, de temps à autre, M. Thiers répéter cette phrase: «Le flot monte! Le flot monte!»
Entre la cour des Tuileries et le cabinet du Roi, il y a un va-et-vient continuel d'officiers, de curieux, apportant à chaque minute des nouvelles, des avis. Toutes les barrières de l'étiquette sont tombées; entre et parle qui veut, comme le matin à l'état-major.
Ce n'est pas le caractère le moins étrange de ces heures troublées que les décisions les plus graves se trouvent ainsi prises sur le conseil des premiers venus et souvent des plus suspects. Voici l'un de ces donneurs de conseil: c'est M. Crémieux qu'introduit le duc de Montpensier; il se posait alors en dynastique. Il dit avoir parcouru divers quartiers; à l'entendre, la partie peut encore être gagnée. «Seulement, ajoute-t-il, le peuple veut un ministère qui soit franchement de gauche; la présence de M. Thiers à la tête du gouvernement est un dangereux contresens; il faut le remplacer par M. Odilon Barrot. À ce prix, je crois pouvoir garantir le rétablissement de l'ordre. Si le Roi tarde, tout est perdu.»
Louis-Philippe se tourne vers M. Thiers, et avec une bienveillance mélancolique où il n'y a plus rien de l'amertume des premières conversations: «Eh bien! mon cher ministre, vous voilà, à votre tour, impopulaire; ce n'est pas moi, vous le voyez, qui répudie vos services.» M. Thiers presse le Roi d'essayer le moyen de salut qu'on lui propose. M. Crémieux signale ensuite l'irritation du peuple contre le maréchal Bugeaud, et demande qu'on lui substitue le maréchal Gérard. À ce moment, le commandant en chef entre dans le cabinet. «Mon cher maréchal, lui dit le Roi, on veut que je me sépare de vous.» Bugeaud ne se montre pas plus désireux de garder son commandement que M. Thiers son ministère. On mande le secrétaire du Roi pour préparer les ordonnances constatant ces changements et appelant Barrot à la Présidence.

Le nouveau président du conseil n'est même pas aux Tuileries. Nous avons laissé M. Barrot, vers dix heures et demie, se reposant chez lui de sa vaine expédition sur les boulevards. À onze heures, il s'est remis en mouvement pour aller prendre possession du ministère de l'intérieur. Son cortège est plus d'un chef d'émeute que d'un ministre du Roi; dans sa voiture et jusque sur le siège, des républicains ; autour, une foule tumultueuse célébrant bruyamment sa victoire en criant. M. Odilon Barrot harangue la foule et télégraphie en province que «l'ordre, un moment troublé, va être rétabli grâce au concours de tous les bons citoyens». Il ne paraît pas s'être demandé s'il n'y avait pas une œuvre plus urgente et si sa place n'aurait pas dû être auprès du Roi et des autres ministres.

Après tout, en quoi la présence de M. Odilon Barrot aux Tuileries eût-elle pu changer les événements? Sur la pente où l'on glisse avec une rapidité croissante, il ne semble plus y avoir d'arrêt possible. À peine a-t-on sacrifié M. Thiers et le maréchal Bugeaud, sur la demande de M. Crémieux, qu'une bien autre exigence se fait entrevoir. Les rumeurs qui pénètrent par les portes si mal fermées du palais, commencent à y apporter, plus ou moins distinctement, le mot qui servira à précipiter la chute de la royauté. Ce mot vient d'être jeté dans la foule par certains républicains, que la défaillance du pouvoir et le succès grandissant de l'émeute ont enfin décidés à se mêler au mouvement, mais qui n'osent pas encore parler ouvertement de république.
Pendant la promenade de M. Barrot sur les boulevards, M. Emmanuel Arago s'est approché de lui: «Avant ce soir, l'abdication du Roi, lui a-t-il dit, sinon une révolution.» C'est aussi d'abdication que parlaient les radicaux que M. Barrot a trouvés réunis dans sa maison et qui lui ont fait cortège jusqu'au ministère de l'intérieur. Cette sorte de mot d'ordre a été vite accepté par les hommes des barricades, et à l'annonce des concessions faites, ils ont répondu que cela ne suffisait plus, et qu'il fallait la retraite de Louis-Philippe.

La sommation ne tarde pas à arriver jusqu'au Roi lui-même. Interrogé par ce dernier sur le résultat de ses démarches, le général de La Moricière est amené à lui dire: «On ne se contente pas de ce que je promets au nom de Votre Majesté: on demande autre chose.
—Autre chose? s'écrie le Roi; c'est mon abdication! et comme je ne la leur donnerai qu'avec ma vie, ils ne l'auront pas...»
Mais on ne peut s'attendre à voir Louis-Philippe persister longtemps dans cette disposition énergique. Arrive bientôt un autre messager; c'est un secrétaire de M. Thiers, qui rapporte que, de toutes parts, le peuple et la garde nationale réclament l'abdication; à l'entendre, il n'y a pas d'autre chance de sauver la monarchie, et encore est-il bien tard. Informés de ces nouvelles, les princes sont d'avis de les faire connaître à leur père. Celui-ci demande conseil à M. Thiers, qui se récuse, non sans laisser voir qu'il est porté à penser comme son secrétaire.

Cependant les nouvelles sont de plus en plus alarmantes: bientôt même elles semblent confirmées par un bruit de fusillade qui vient de la place du Palais-Royal. Le détachement qui occupe, sur cette place, le poste du Château d'eau, donnant un exemple de fierté militaire rare dans cette journée, a refusé de se laisser désarmer, et le combat s'est engagé entre cette poignée de soldats et la masse sans cesse grossissante des émeutiers. Des Tuileries, on entend distinctement le crépitement des coups de feu. Ce n'est pas pour donner plus de sang-froid à tous ceux qui se pressent autour du Roi et qui croient déjà voir les Tuileries emportées de vive force.

À ce moment,—il est environ midi,—paraît M. de Girardin, collaborateur de Thiers, l'œil en feu, un carré de papier à la main. Se frayant brusquement passage, il va droit au Roi.
«Qu'y a-t-il?» demande celui-ci. M. de Girardin répond avec beaucoup de véhémence que pas une minute n'est à perdre; que le peuple ne veut plus de M. Thiers et de M. Odilon Barrot; qu'il faut l'abdication immédiate. Il a formulé ainsi, sur le papier qu'il tient à la main, les concessions nécessaires:
«- Abdication du Roi;
- régence de la duchesse d'Orléans;
- dissolution de la Chambre;
- amnistie générale.»
Le Roi interroge du regard ceux qui l'entourent. Pas un conseil d'énergie qui réponde à cette interrogation. M. de Girardin insiste; M. le duc de Montpensier l'appuie.
Le vieux roi n'est pas de force à résister longtemps à une telle pression. Il laisse, avec accablement, tomber cette parole: «J'abdique!» Puis, tandis que diverses personnes, entre autres le duc de Montpensier, sortent dans la cour pour annoncer cette nouvelle, il se lève, ouvre la porte du salon où se trouve la Reine, et répète, d'une voix plus haute: «J'abdique!»

Les assistants sont émus, mais inertes. Une voix s'élève cependant, chaude, vibrante: «L'abdication, dit-il, c'est la république dans une heure!» M. de Montalivet, que la Reine a envoyé chercher, le colonel de Neuilly se prononcent aussi contre l'abdication. Le Roi paraît hésiter.
Plusieurs font observer qu'on ne peut revenir sur une décision annoncée au peuple, que d'ailleurs il ne reste plus aucun moyen de se défendre. À ce moment même, le bruit de la fusillade redouble. «Il n'y a pas une minute à perdre, dit le duc de Montpensier; les balles sifflent jusque dans la cour.»
Le Roi est de plus en plus anxieux. «Est-il vrai, demande-t-il, que toute défense soit impossible?»
—«Impossible, impossible!» répondent des voix nombreuses. Il y a là cependant beaucoup de généraux, d'officiers. Le vieux maréchal Soult, appuyé contre un chambranle, assiste muet à cette scène. M. Thiers va et vient, laissant voir une sorte de stupeur.
Vainement la duchesse d'Orléans adjure-t-elle une dernière fois le Roi de «ne pas charger son petit-fils d'un fardeau que lui-même ne peut pas porter»; Louis-Philippe est définitivement vaincu. Il se lève, et, au milieu d'un silence profond: «Je suis un roi pacifique, dit-il; puisque toute défense est impossible, je ne veux pas faire verser inutilement le sang français, et j'abdique.»

Le maréchal Gérard entre à ce moment; il avait été mandé à la suite de la démarche de M. Crémieux. On lui demande aussitôt d'annoncer au peuple l'abdication. «Mon bon maréchal, dit la Reine, sauvez ce qui peut encore être sauvé!»
Sans lui laisser le temps de revêtir un uniforme, on le hisse sur un cheval; on lui met, en signe de paix, un rameau vert dans la main; puis, accompagné de quelques personnes de bonne volonté, il se dirige vers la place du Palais-Royal où le combat dure toujours. Au moment de franchir la grille, quelqu'un lui fait remarquer qu'il n'a entre les mains aucun papier constatant l'abdication.

Invité ainsi à fournir le témoignage écrit de son sacrifice, Louis-Philippe va s'asseoir à son bureau, et, avec une lenteur qui n'est pas sans dignité, dispose son papier et ses plumes. Les assistants, parmi lesquels beaucoup d'inconnus, sont littéralement sur son dos, observant tous ses mouvements, et ne cachant pas l'impatience que leur cause cette lenteur.
"Plus vite, plus vite!» osent même dire quelques-uns. «Je vais aussi vite que je puis, messieurs», répond le Roi. Et il se met à écrire posément, de la grande écriture qui lui est coutumière. Comme le bruit des coups de feu semble se rapprocher, le duc de Montpensier, inquiet pour la sécurité de son père, le conjure de se hâter. «J'ai toujours écrit lentement, dit le Roi, et ce n'est pas le moment de changer mon habitude.» Voici cependant qu'il a terminé; il trace sa signature. Un inconnu, debout derrière lui, s'écrie avec joie: «Enfin, nous l'avons!—Qui êtes-vous, monsieur? lui dit sévèrement la Reine, en se levant.—Madame, je suis un magistrat de la province.—Eh bien, oui, vous l'avez, et vous vous en repentirez!» La façon dont sont prononcés ces derniers mots et le regard qui les accompagne sont d'une petite-fille de Marie-Thérèse.

Cependant le Roi relit à haute voix ce qu'il vient d'écrire: «J'abdique cette couronne que la volonté nationale m'avait appelé à porter, en faveur de mon petit-fils, le comte de Paris. Puisse-t-il réussir dans la grande tâche qui lui échoit aujourd'hui!»

Image
L'acte d'abdication de Louis Philippe. -avec la faute d'orthographe originale-
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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Message par griffon »

Le moment est bien choisi pour reprendre cet AAR ! :chicos:
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Message par stratcom »

Ça prend la bonne voie mais je me méfie. L'auteur est retors.
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Chef Chaudard »

La poire a abdiqué ! La proclamation de la république par le peuple souverain ne sera l'affaire que de quelques heures ...
- On se bat, on se bat, c'est plutôt qu'on est comme une espèce de poste avancé, quoi. Dans le cas que... comprenez, une supposition, que les Allemands reculent, crac, on est là!
- Pour les empêcher de reculer...
- Non, pour euh..., la tenaille quoi.
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Emp_Palpatine
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

Le 28 mai - Choses Vues
En 1830, il y avait le duc d’Orléans derrière Charles X. En 1848, derrière Louis-Philippe il y a un trou. C’est triste de tomber de Louis-Philippe en Ledru-Rollin.
Victor Hugo.

Alors que Louis-Philippe vient d'abdiquer, Victor Hugo continue ses pérégrinations dans Paris et tente d'annoncer et de défendre l'abdication et la régence de la Duchesse d'Orléans au émeutiers des Faubourgs.
Nous avons dû traverser à grand’peine l’océan humain qui couvrait, avec un bruit de tempête, la place de l’Hôtel-de-Ville. Au quai de la Mégisserie se dressait une formidable barricade ; grâce à l’écharpe du maire, on nous a laissés la franchir. Au delà, les quais étaient à peu prés déserts. Nous avons gagné la Chambre des députés par la rive gauche.

Le Palais-Bourbon était encombré d’une cohue bourdonnante de députés, de pairs et de hauts fonctionnaires. D’un groupe assez nombreux est sortie la voix aigrelette de M. Thiers :
— Ah ! voilà Victor Hugo !
— Et M. Thiers est venu à nous, demandant des nouvelles du faubourg Saint-Antoine. Nous y avons ajouté celles de l’Hôtel de Ville ; il a secoué lugubrement la tête.
— Et par ici ? dis-je. D’abord êtes-vous toujours ministre ?
— Moi ! ah ! je suis bien dépassé, moi ! bien dépassé ! On en est à Odilon Barrot, président du conseil et ministre de l’intérieur.
— Et le maréchal Bugeaud ?
— Remplacé aussi par le maréchal Gérard. Mais ce n’est rien. La Chambre est dissoute ; le roi a abdiqué ; il est sur le chemin de Saint-Cloud, Mme la duchesse d’Orléans est régente. Ah ! le flot monte, monte, monte !

M. Thiers nous engagea, M. Ernest Moreau et moi, à aller nous entendre avec M. Odilon Barrot. Notre action dans notre quartier, si important, pouvait être grandement utile. Nous nous sommes donc mis en route pour le ministère de l’intérieur.
Le peuple avait envahi le ministère et refluait jusque dans le cabinet du ministre, où allait et venait une foule peu respectueuse. À une grande table, au milieu de la vaste pièce, des secrétaires écrivaient. M. Odilon Barrot, la face rouge, les lèvres serrées, les mains derrière le dos, s’accotait à la cheminée. Il dit en nous voyant :
— Vous êtes au courant, n’est-ce pas ? Le roi abdique, la duchesse d’Orléans est régente...
— Si le peuple consent, dit un homme en blouse qui passait.

Le ministre nous emmena dans l’embrasure d’une fenêtre, en jetant autour de lui des regards inquiets.
— Qu’allez-vous faire ? que faites-vous ? lui dis-je.
— J’expédie des dépêches aux départements.
— Est-ce très urgent ?
— Il faut bien instruire la France des événements.
— Mais, pendant ce temps-là, Paris les fait, les événements. Hélas, a-t-il fini de les faire ? La Régence, c’est bien, mais il faudrait qu’elle fût sanctionnée.
— Oui, par la Chambre. La duchesse d’Orléans devrait mener le comte de Paris à la Chambre.
— Non, puisque la Chambre est dissoute. Si la duchesse doit aller quelque part, c’est à l’Hôtel de Ville.
— Y pensez-vous ? Et le danger ?
— Aucun danger. Une mère, un enfant ! Je réponds de ce peuple. Il respectera la femme dans la princesse.
— Eh bien, allez aux Tuileries, voyez la duchesse d’Orléans, conseillez-la, éclairez-la.
— Pourquoi n’y allez-vous pas vous-même ?
— J’en arrive. On ne savait où était la duchesse ; je n’ai pu l’aborder. Mais dites-lui, si vous la voyez, que je suis à sa disposition, que j’attends ses ordres. Ah ! Monsieur Victor Hugo, je donnerais ma vie pour cette femme et pour cet enfant !

Odilon Barrot est l’homme le plus honnête et le plus dévoué du monde, mais il est le contraire d’un homme d’action ; on sentait le trouble et l’indécision dans sa parole, dans son regard, dans toute sa personne.
— Écoutez, me dit-il encore, ce qui importe, ce qui presse, c’est que le peuple connaisse ces graves changements, l’abdication, la Régence. Promettez-moi d’aller les proclamer à votre mairie, au faubourg, partout où vous pourrez.
— Je vous le promets.


Je me dirige, avec M. Moreau, vers les Tuileries.

Rue Bellechasse, chevaux au galop. Un escadron de dragons passe comme un éclair et a l’air de s’enfuir devant un homme aux bras nus qui court derrière lui en brandissant un coupe-chou.
Les Tuileries sont encore gardées par les troupes. Le maire montre son écharpe, et nous passons. Au guichet, le concierge, auquel je me nomme, nous dit que Mme la duchesse d’Orléans, accompagnée de M. le duc de Nemours, vient de quitter le château, avec le comte de Pans, pour se rendre sans doute à la Chambre des députés. Nous n’avons donc plus qu’à continuer notre route.

À l’entrée du pont du Carrousel, des balles sifflent à nos oreilles. Ce sont les insurgés qui, place du Carrousel, tirent sur les voitures de la cour sortant des petites écuries. Un des cochers a été tué sur son siège.
— Ce serait trop bête de nous faire tuer en curieux ! me dit M. Ernest Moreau. Passons de l’autre côté de l’eau.

Nous longeons l’Institut et le quai de la Monnaie. Au Pont-Neuf, nous nous croisons avec une troupe armée de piques, de haches et de fusils, conduite, tambour en tête, par un homme agitant un sabre et vêtu d’un grand habit à la livrée du roi. C’est l’habit du cocher qui vient d’être tué rue Saint-Thomas-du-Louvre.

Quand nous arrivons, M. Moreau et moi, à la place Royale, nous la trouvons toute remplie d’une foule anxieuse. Nous sommes aussitôt entourés, questionnés, et nous n’arrivons pas sans peine à la mairie. La masse du peuple est trop compacte pour qu’on puisse parler sur la place. Je monte, avec le maire, quelques officiers de la garde nationale et deux élèves de l’École polytechnique, au balcon de la mairie. Je lève la main, le silence se fait comme par enchantement. Je dis :

— Mes amis, vous attendez des nouvelles. Voilà ce que nous savons : M. Thiers n’est plus ministre, le maréchal Bugeaud n’a plus le commandement (Applaudissements). Ils sont remplacés par le maréchal Gérard et par M. Odilon Barrot (Applaudissements, mais plus clairsemés). La Chambre est dissoute. Le roi a abdiqué (Acclamation universelle). La duchesse d’Orléans est régente (Quelques bravos isolés, mêlés à de sourds murmures).
Je reprends :
- Le nom d’Odilon Barrot vous est garant que le plus large appel sera fait à la nation et que vous aurez le gouvernement représentatif dans toute sa sincérité.

Sur plusieurs points des applaudissements me répondent, mais il paraît évident que la masse est incertaine et non satisfaite.

Nous rentrons dans la salle de la mairie.
— Il faut à présent, dis-je à M. Ernest Moreau, que j’aille faire la proclamation sur la place de la Bastille. Mais le maire est découragé.
— Vous voyez bien que c’est inutile, me dit-il, tristement ; la Régence n’est pas acceptée. Et vous avez parlé ici dans un milieu où vous êtes connu, où vous êtes aimé ! À la Bastille, vous trouveriez le peuple révolutionnaire du faubourg, qui vous ferait un mauvais parti peut-être.
— J’irai, dis-je, je l’ai promis à Odilon Barrot.
— J’ai changé de chapeau, reprit en souriant le maire, mais rappelez-vous mon chapeau de ce matin.
— Ce matin, l’armée et le peuple étaient en présence, il y avait danger de conflit ; à l’heure qu’il est, le peuple est seul, le peuple est maître. — Maître... et hostile, prenez-y garde ! — N’importe ! j’ai promis, je tiendrai ma promesse.

Je dis au maire que sa place à lui était à la mairie et qu’il y devait rester, mais plusieurs officiers de la garde nationale se présentèrent spontanément pour m’accompagner, et, parmi eux, l’excellent M. Launaye, mon ancien capitaine. J’acceptai leur offre amicale, et cela fit un petit cortège, qui se dirigea, par la rue du Pas-de-la-Mule et le boulevard Beaumarchais, vers la place de la Bastille.

Là s’agitait une foule ardente, où les ouvriers dominaient. Beaucoup armés de fusils pris aux casernes ou livrés par les soldats. Cris et chant des Girondins, Mourir pour la patrie ! Groupes nombreux qui discutent et disputent avec passion. On se retourne, on nous regarde, on nous interroge :
— Qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? qu’est-ce qui se passe ? Et l’on nous suit. J’entends murmurer mon nom avec des sentiments divers : Victor Hugo ! c’est Victor Hugo ! Quelques-uns me saluent. Quand nous arrivons à la colonne de Juillet, une affluence considérable nous entoure. Je monte, pour me faire entendre, sur le soubassement de la colonne.
Je ne rapporterai de mes paroles que celles qu’il me fut possible de faire arriver à mon orageux auditoire. Ce fut bien moins un discours qu’un dialogue, mais le dialogue d’une seule voix avec dix, vingt, cent voix plus ou moins hostiles.

Je commençai par annoncer tout de suite l’abdication de Louis-Philippe, et, comme à la place Royale, des applaudissements à peu près unanimes accueillirent la nouvelle. On cria cependant aussi :
— Non ! pas d’abdication ! la déchéance ! la déchéance. — J’allais décidément avoir affaire à forte partie.

Quand j’annonçai la Régence de la duchesse d’Orléans, ce furent de violentes dénégations :
— Non ! non ! pas de Régence ! à bas les Bourbons ! Ni roi, ni reine ! Pas de maîtres !
Je répétai : — Pas de maîtres ! je n’en veux pas plus que vous, j’ai défendu toute ma vie la liberté !
— Alors pourquoi proclamez-vous la Régence ?
— Parce qu’une régente n’est pas un maître. D’ailleurs, je n’ai aucun droit de proclamer la Régence, je l’annonce.
— Non ! non ! pas de Régence !
Un homme en blouse cria : — Silence au pair de France ! à bas le pair de France ! Et il m’ajusta de son fusil. Je le regardai fixement, et j’élevai la voix si haut qu’on fit silence.
— Oui, je suis pair de France et je parle comme pair de France. J’ai juré fidélité, non à une personne royale, mais à la monarchie constitutionnelle. Tant qu’un autre gouvernement ne sera pas établi, c’est mon devoir d’être fidèle à celui-là. Et j’ai toujours pensé que le peuple n’aimait pas que l’on manquât, quel qu’il fût, à son devoir.

Il y eut autour de moi un murmure d’approbation et même quelques bravos çà et là. Mais quand j’essayai de continuer :
— Si la Régence... les protestations redoublèrent. On ne me laissa en relever qu’une seule. Un ouvrier m’avait crié :
— Nous ne voulons pas être gouvernés par une femme.
— Je ripostai vivement : Hé ! moi non plus je ne veux pas être gouverné par une femme, ni même par un homme. C’est parce que Louis-Philippe a voulu gouverner que son abdication est aujourd’hui nécessaire et qu’elle est juste. Mais une femme qui règne au nom d’un enfant ! n’y a-t-il pas là une garantie contre toute pensée de gouvernement personnel ? Voyez la reine Victoria en Angleterre...
— Nous sommes français, nous ! cria-t-on. Pas de Régence !
— Pas de Régence ? Mais alors quoi ? Rien n’est prêt, rien ! C’est le bouleversement total, la ruine, la misère, la guerre civile peut-être ; en tout cas, c’est l’inconnu.
— Une voix, une seule voix, cria : Vive la République ! Pas une autre voix ne lui fit écho. Pauvre grand peuple, inconscient et aveugle ! il sait ce qu’il ne veut pas, mais il ne sait pas ce qu’il veut !

À partir de ce moment, le bruit, les cris, les menaces devinrent tels que je renonçai à me faire entendre. Mon brave Launaye me dit : — Vous avez fait ce que vous vouliez, ce que vous aviez promis ; nous n’avons plus qu’à nous retirer.
La foule s’ouvrit devant nous, curieuse et inoffensive. Mais à vingt pas de la colonne, l’homme qui m’avait menacé de son fusil me rejoignit et de nouveau me coucha en joue, en criant :
— À mort le pair de France !
— Non, respect au grand homme ! fit un jeune ouvrier, qui vivement avait abaissé l’arme. Je remerciai de la main cet ami inconnu et je passai.
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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griffon
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par griffon »

C'est presque effrayant comme témoignage :froid:
SOL INVICTVS

Au printemps, je vais quelquefois m'asseoir à la lisière d'un champ fleuri.
Lorsqu'une belle jeune fille m'apporte une coupe de vin , je ne pense guère à mon salut.
Si j'avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu'un chien

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Emp_Palpatine
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Re: A toutes les gloires de la France.

Message par Emp_Palpatine »

Hugo s'y donne le beau rôle, mais Choses Vues est fascinant à lire sur ces journées là.
Et comme il sied à son égo, il défend le régime qui l'a couvert d'honneur avant de critiquer celui qui lui refusa un ministère. :siffle: :mrgreen:
Vous pensez tous que César est un con? Vous pensez que le consul et son conseiller sont des cons? Que la police et l'armée sont des cons? Et vous pensez qu'y vous prennent pour des cons? Et vous avez raison, mais eux aussi! Parce que depuis le temps qu'y vous prennent pour des cons, avouez que vous êtes vraiment des cons. Alors puisqu'on est tous des cons et moi le premier, on va pas se battre.
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