Hésitations de la Duchesse d'Orléans et du Duc de Nemours. Elle décide de se rendre à la Chambre avec ses enfants. Etat d'esprit à la Chambre. La nouvelle de l'abdication provoque l'anarchie. Légitimistes de conviction et radicaux à la curée, frayeur des modérés. L'offensive contre la régence. L'arrivée de la Duchesse d'Orléans, protestation de l'ex-majorité légitimiste. Débats et la Lieutenance Générale au Comte de Chambord mise aux voix.
Alors que Louis-Philippe avait abdiqué et qu'il quittait les Tuileries, nous y reviendrons, la Duchesse d'Orléans, que les dynastiques considéraient comme la régente de fait et la régente imposé par les circonstances, se voit délaissée de tous. Quelle preuve du délitement du pouvoir que le jeune chef de l'Etat en titre et sa régente abandonnée de tous dans un palais où, déjà, les balles sifflent. La Duchesse voulut, à l'origine, rester aux Tuileries et ouvrir les portes à l'émeute, espérant sans doute attendrir la foule comme, en son temps, Anne d'Autriche. Le Duc de Nemours, avisé de la volonté de la Duchesse d'Orléans, fait le siège de sa belle-soeur et finit par la convaincre de renoncer à un projet aussi dangereux.
Ses projets son plus rationnels : faire quitter au jeune roi et à la régente la capitale, au besoin juchés sur des caissons d'artillerie, et se réfugier au Mont Valérien ou à Saint Cloud; laisser Paris à l'émeute et laisser le temps à la France de venir à la rescousse des institutions.
Alors que Nemours s'attèle à la préparation du convoi royal vers une des places fortes, une délégation de M. Odilon-Barrot, président du conseil en titre, arrive. Ayant appris l'abdication, le président du conseil en titre se décide à agir et envoie ses émissaires exhorter la Duchesse d'Orléans. Chez lui, le souvenir de 1830 et la confiance envers le peuple de Paris sont vibrants et il appelle alors la Duchesse à se rendre à l'Hôtel de Ville avec le jeune roi.
Romantique, libérale, pleine d'imagination et de courage, Hélène d'Orléans fait sienne immédiatement l'idée et demande même que l'on prépare un cheval de dragon, annonçant qu'elle montera sans selle de femme, prête à frapper les imaginations. Effrayé, son entourage la met en garde et la supplie de reconsidérer son projet : l'Hôtel de ville, au main de l'émeute, est trop dangereux.
"Alors, la Chambre" propose alors la Duchesse. L'idée plait. On annonce déjà aux grilles des Tuileries "Vive le Comte de Paris, Roi des Français! Vive la Duchesse d'Orléans, régente". La foule alors présente ne fit pas mauvais accueil à cette nouvelle. Tout semblait encore possible.
Au bras d'un officier de la Garde Nationale, la Duchesse d'Orléans et ses deux enfants se mirent en route vers la Chambre.
Quand Nemours revint d'avoir préparé le convoi, il trouva la Duchesse partie et, pour ce prince, ce fut un coup terrible : tout était perdu.
Il se hâte alors pour la rattraper, tout en donnant des ordres pour accroître la protection de la Chambre. Quand il arrive aux grilles du Palais-Bourbon, il est trop tard : elle est déjà entrée.
Qu'attendre de cette Chambre? Dissoute la veille, elle n'aurait même pas dû être en session, en attendant les futures élections. Mais les députés, furieux d'une dissolution comprise comme une pénitence pour un péché qui n'était pas le leur, excités par l'émeute et le croulement du pouvoir, s'étaient d'eux-mêmes agrégés à la Chambre dès midi.
Y règne un souffle d'effarement et d'extrême agitation. Le vent de déroute qui régnait aux Tuileries ne les avait pas épargnés. Dans l'épreuve, on n'y voyait presque aucune trace de ces convictions et de ces fidélités qui se raidissent contre la mauvaise fortune, prêtes à tous les dévouements et à tous les sacrifices. Chaque minute abattait davantage les courages et excitait un peu plus les appétits en annonçant un nouvel outrage.
Sentant frémir les fondations du régime de Juillet, les Légitimistes de conviction commençaient déjà à roder autour des institutions moribondes. La première idée n'était que d'utiliser l'émeute pour se venger de l'éloignement de Berryer. Les nouvelles venues des Tuileries allaient provoquer la tempête. Alors que la séance, houleuse, empêtrée dans les invectives et les débats, était suspendue arriva la nouvelle de l'abdication de Louis-Philippe. Ce fut, décrivit un témoin, une goutte de sang tombant dans un bassin de squales. La séance reprit dans l'anarchie la plus complète.
A gauche, les radicaux, rejoints par un faible nombre de libéraux ex-dynastiques, en appelaient à un gouvernement provisoire. C'était surtout dans l'ex-majorité que le chaos fut manifeste : le parti Légitimiste se scindaient entre légitimistes de conviction, triomphants à l'idée de venger 1830, et légitimistes de rencontre, ceux qui s'étaient fait élire sous la bannière de la fermeté et de l'ordre pour qui la question dynastique n'avait guère d'importance. Ceux-là, comme l'écrasante majorité des Orléanistes et des Libéraux dynastiques, se trouvaient paralysés devant l'abîme menaçant l'ordre établi.
Avec la complicité manifeste de Coelion, président de la Chambre et Légitimiste de conviction, l'offensive ne tarda pas. Il était évident que la régence serait confiée à la Duchesse d'Orléans ou, peut-être, au Duc de Nemours. La Loi, à la mort du Duc d'Orléans, était restée évasive sur la question, de la volonté même de Louis-Philippe. Le vieux Roi n'avait pas imaginé alors que la régence serait discutée en de telles circonstances. C'était un cadeau inespéré pour les Légitimistes et les radicaux. D'une seule voix, leurs orateurs attaquèrent l'idée de la régence, critiquant l'unilatéralisme des Tuileries - on ignorait alors que Louis-Philippe, même dans le naufrage, n'avait pas donné de consignes pour la régence-, exigeant que le choix revienne à la représentation nationale.
Berryer restait impassible et silencieux, ne prenant pas part aux débats. Au centre, on balbutiait et la défense des institutions se fit hésitante et peu convaincue.
Il est une heure et demie, quand la duchesse d'Orléans entre dans la Chambre, tenant par la main ses deux fils, suivie de plusieurs officiers et gardes nationaux. Elle est vêtue de deuil, et son voile à demi relevé laisse voir sa figure pâle et ses yeux rougis par les larmes. Une partie de l'assemblée, attendrie par ce spectacle, se lève et pousse des acclamations répétées: «Vive la duchesse d'Orléans! vive le comte de Paris! vive le Roi! vive la Régente!» La princesse et ses enfants prennent place sur des sièges que le président fait disposer en hâte dans l'hémicycle, au pied de la tribune. Presque aussitôt après, arrive le duc de Nemours qui s'est frayé, non sans peine, un chemin à travers la foule obstruant déjà toutes les issues. Il presse vainement la duchesse d'Orléans de s'en aller. La voyant résolue à rester, il demeure auprès d'elle pour la protéger et pour partager ses périls. En même temps que la princesse et son escorte, beaucoup de personnes étrangères à la Chambre ont pénétré dans la salle, entre autres les délégués du National. C'est le commencement d'une invasion qui ne pourra que grossir. Si donc l'on veut faire quelque chose, il faut aller très vite, profiter de l'attendrissement du premier moment, ne pas laisser aux envahisseurs le temps de recevoir des renforts et d'agir.
La Duchesse d'Orléans à la Chambre.
Hélas, la stupeur et le respect de la veuve, de la princesse et du jeune prince ne durèrent pas. Si la droite modérée et la gauche dynastique avaient tu leurs critiques, les blancs de conviction, forte minorité à la Chambre, redoublèrent d'effort. L'heure n'était pas, pour eux, à rééditer 1830 et refaire un roi de l'émeute. "Eh quoi, disait l'un des orateurs, cette dynastie va-t-elle nous rejouer l'émeute à chaque changement de règne?"
La Président de Coelion, au perchoir de la chambre, redoublait de finasseries, de subtilités du règlement, de rappels à l'ordre pour amener le vote. Pendant ce temps, alors qu'elle espérait la proclamation rapide de la régence et de son fils, la Duchesse d'Orléans, de plus en plus abattue, se voyait l'objet de dérisions, de contestations, d'agressions. L'émeute grondait au dehors, la monarchie tremblait sur ses bases et, alors que l'urgence voulait que l'on se contentât de ce que l'on avait sous la main, les députés soldaient les comptes des 18 dernières années. Habilement manœuvrée par Coelion, la Chambre se résolut finalement à voter. Le président mit d'abord aux voix la proposition suivante :
"La représentation nationale constate la vacance du Trône ". Elle fut votée à la quasi unanimité.
Ensuite, décidé à frapper, il mit aux voix un amendement venu de la droite de la Chambre : "Considérant la vacance du Trône, S.A.R Henri de Bourbon, duc de Chambord, est appelé à la Lieutenance Générale du Royaume."
Les mots trahissaient la volonté de se venger, enfin, de la substitution de 1830 jusqu'en en imitant les formes.