Les élections de 1841
État de l'opinion. L'esprit de résistance ressuscité par les demandes d'ordre, voire de réaction. Le traité Franco-néerlandais. Les allégeances changent dans les Chambres. La Loi militaire de 1841. Les débats de la campagne marqués par la réaction croissante. L'opinion à la veille de l'élection. Les résultats.
Les Français sont versatiles et au moindre frémissement, leur fibre latine échauffe leurs attitudes et leurs opinions. Les événements de l'automne 1840, et particulièrement l'affaire de Boulogne, avait chauffé à blanc l'esprit des conservateurs. L'opinion nationale restait majoritairement conservatrice et les doctrinaires pouvaient encore espérer conserver la majorité mais chez les électeurs la demande d'ordre était affirmée : l'esprit de résistance, incarnée par un vague parti de l'ordre s'organisant autour des légitimistes, s'organisait.
État de l'opinion en janvier 1841
Ainsi, les anciens soutiens de la Restauration relevaient la tête et se faisaient plus bruyants. A la Chambre des Pairs, le mouvement fut particulièrement notable. On remarqua bien vite que cette assemblée, d'ordinaire si policée, se faisait plus remuant et plus critique contre le ministère, joignant sa voix à la Chambre des Députés dans le demande d'ordre.
C'était l'esprit de Résistance qui avait marqué les années 1831-1832 qui ressuscitait, on en appelait aux mânes de Casimir Perrier qui avait su ramener l'ordre dans le pays et réduire au silence par sa réussite les ennemis des institutions et de la monarchie. Cependant, Perrier manquait et le Roi avait choisi de demander l'arbitrage des électeurs. Dans le fond la réaction des Chambres et des citoyens actifs était sans doute excessive, le renouveau de l'agitation ne menaçant alors pas encore la royauté de juillet tandis que la victoire des adeptes de la résistance et un ministère "dur" était susceptible de déclencher des réactions épidermiques au sein de la gauche dynastique, pour ne rien dire des agitateurs radicaux.
Les légitimistes profitaient de cet état de chose. Leurs critiques vigoureuses portant sur le laxisme de la royauté nouvelle étaient vues sous un nouveau jour et on commença à y voir plus de sincérité et de justesse. Autour d'eux se coalisaient la demande de fermeté qui montaient des profondeurs du pays et chez les électeurs.
Les affaires intérieures et extérieures, si elles ne recevaient guère d'attention dans les journaux et l'opinion en ces semaines agitées, continuaient leur chemin. Passé relativement inaperçue alors, la signature du traité Franco-Néerlandais fut une victoire diplomatique notable pour notre diplomatie.
Les Pays-Bas nous ouvraient leur marché et entraient dans une alliance militaire avec nous. L'équilibre à nos frontières du nord était de plus rétabli, l'alliance hollandaise permettant de compenser l'étroitesse des liens britanniques avec la Belgique. De plus, les Pays-Bas disposaient de forces notables pouvant nous appuyer, dût un conflit éclater contre la Prusse ou les Britanniques. A Londres, on goûta la nouvelle avec déplaisir mais philosophie, les diplomates français ayant soustrait les Pays-Bas à l'influence britannique mollement consentie par La Haye. Cependant, on comprit qu'il s'agissait là d'un rééquilibrage des équilibres sur les rives de la mer du Nord et les cajoleries de nos ambassadeurs finirent de convaincre les Britanniques d'accepter que le nouvel état de chose n'était pas une agression à leur égard
Au sein des Chambres, avant même le résultat des élections, les allégeances et affiliations avaient commencé à bouger. La demande d'ordre s'accompagnait d'une demande de plus grande force des armes françaises. La Garde Nationale suffirait-elle à contenir les agitations que tous craignaient dans leurs phantasmes? Pouvait-on, de plus, lui faire confiance? On respectait la Garde Nationale comme pilier de la monarchie de juillet, on craignait l’imprévisibilité de certains de ses hommes, toujours susceptibles, comme leurs prédécesseurs de 1791-92, de rejoindre les radicaux. Conservateurs des deux Chambres et gouvernement étaient d'accord sur le fait que la Ligne était une troupe plus sûre et plus fiable en cas de troubles.
La question militaire n'était pas seulement intérieure. L'armement français avait fortement regagné en vigueur depuis 1830. En 1835, l'armée encore affaiblie par juillet n'alignait que 100 000 hommes. En 1840, ce chiffre atteignit 300 000, dont 50 000 en Algérie. On était ému, cependant, d'à peine dépasser les effectifs prussiens et de ne toujours pas être à la parité avec l'Empire d'Autriche. Bien plus, l'absence de réserves inquiétait.
La Loi militaire de 1841 fut à la réponse à ces émotions.
La Loi Gouvion-Saint Cyr fut amendée pour y supprimer le remplacement. Les mauvais numéros continueraient d'être appelés pour six ans tandis que les bons devraient être incorporés un an. Le dessein était moins de renforcer les effectifs de l'armée d'active, pour lesquels le volontariat et les mauvais numéros devraient continuer à suffire, que de fournir plus de réservistes potentiels en cas de besoin.
La loi de 1841 n'était des plus populaires chez les jeunes hommes, bien que pour le moment son application promît d'être partielle. On l'acceptât en maugréant, habitués par ailleurs à attendre le conseil de révision, autant que l'attente ne se fît pas pour rien.
En plus des discussions martiales, la campagne se tentaient de conservatisme et de demandes que les réactionnaires n'eurent pas désavouées.
Les partisans de la résistance s'insurgeaient contre l'activité parfois fort peu discrète de société secrètes subversives, ils rappelaient les méfaits de la charbonnerie, les tentatives de régicide, l'affaire du boulevard du Temple.
Là encore, force et sévérité étaient demandées.
Il n'était pas jusqu'à la liberté de la presse qui était contestée. La loi de 1835 avait pourtant rétabli des limites s'apparentant à une censure a posteriori. L'espoir était-il d'étouffer dans l'oeuf la voix des feuilles libérales ou, surtout radicales? Un an auparavant, M. de Thrawnac faisait rire à la Chambre, en exigeant que les ciseaux du censure protégeassent ses mœurs. On ne riait déjà plus.
Toujours dans la presse, le dévoilement des conditions d'indigence dans lesquelles certaines casernes étaient plongées excita encore un peu plus l'opinion. On accusa le ministère de négliger le bien être de la troupe, de ne pas investir assez.
Le gouvernement conduisit au tribunal quelques officiers et hommes d'affaires s'étant enrichis sur le dos des soldats, mais là aussi le mal était fait.
A la veille de l'élection, l'opinion était majoritairement demandeuse d'ordre, comme les polémiques sur les dépenses militaires le laissaient percevoir. Les rapports des préfets indiquaient que la résistance, vague agrégat de conservateurs avec pour noyau les légitimistes, avait dépassé chez les électeurs les candidats ministériels, confirmant l'éclatement du camp conservateur au détriment des anciens équilibres.
Les Tuileries voyaient approcher avec inquiétude l'élection.
Le coup de tonnerre resta néanmoins une surprise quand les résultats furent connus. S'attendre à une nouvelle ne présume pas de l'absence d'un choc quand celle-ci finit par arriver.
Arrimé aux légitimistes qui n'en espéraient pas tant, le parti de l'Ordre lamina complètement les candidats conservateurs qui ne s'étaient pas ralliés à lui. Doctrinaires et résistants s'étaient empressés de se faire élire sous cette étiquette, ralliant des électeurs bien décidés à promouvoir une politique plus ferme.
Fort naturellement, la gauche dynastique reprenait des couleurs, bénéficiant du ralliement des conservateurs qui ne pouvaient se résoudre à porter la même étiquette que les anciens soutiens de Charles X ou à la future politique.
Louis-Philippe, quant à lui, se trouvait fort embarrassé face à une Chambre où des députés sapant ouvertement sa dynastie formaient, en apparence, la majorité.
C'était la Chambre Introuvable qui recommençait. Louis-Philippe eût volontiers substitué sa Chambre de mai 1841 à la Chambre de Juillet 1830 de Charles X. Sans le vouloir et bien malgré lui, il avait réussi là où les espoirs de son prédécesseur avaient échoué : donner la Chambre aux ultras. Mieux encore, il avait même contribué à ressusciter ce parti en partant d'une Chambre pourtant acquise. On comprend que la dissolution fut amèrement regrettée.