Fin août 1855
Pas d'affrontement en Adriatique cette fois-ci, les Français se replient à toute vitesse. Le vice-amiral comte von Bujacovich profite de cette victoire pour se retirer dans l'honneur, à l'âge de 73 ans. Son service fut exemplaire, né en 1782 sur la frégate
La Fama, il a été marin dès son premier souffle. Son successeur, Károly Gyujtó von Sépsi-Mártonos, devra faire des efforts pour arriver à sa hauteur, surtout que ses ancêtres ne furent pas en reste non plus.
La guerre étant calme, penchons-nous sur les questions économiques, longtemps négligées. M. Chaudard vient de recevoir les rapports de l'office des statistiques. Lorgnon à la main, nous étudions les longues colonnes de chiffres.
Les bases d'abord: les impôts coulent de source, les taux d'imposition sont modérés, l'inflation est à 1% et donc basse, nous ne sommes pas endettés. Les flux de liquidités laissent entrevoir une activité économique vitale, avec jusqu'à 334 000 couronnes de croissance toutes les deux semaines. Voyons maintenant les produits "organiques": quelques imports de poisson et de vin, des exports de boeufs et de laine quand l'occasion s'y prête, mais on ne trouve pas beaucoup de repreneurs. La population est bien nourrie, les excédents de nourriture alimentent nos usines de conserves. Il y a un petit déficit de bois, les stocks massifs compensent ce manque pour l'instant (et pour encore très longtemps). Bien! Tournons-nous vers les produits "non-organiques".
La sidérurgie autrichienne se porte très bien, équipements militaires y compris munitions sont disponibles en large quantités. Minerais et nitrates pourraient manquer à très long terme, à cause des achats saxons. Bon, on pourra voir à construire une nouvelle mine un jour, bien que ce genre de ressources ne manque pas sur les marchés internationaux. Produits chimiques, bien manufacturés, que d'excédents! L'industrie textile se porte très bien aussi, toute sa production est aspirée par la demande nationale. Les classes supérieures achètent elles tous les produits de luxe, joyaux et textiles de soie que nos producteurs peuvent fournir. Il y a un réel potentiel d'expansion. À suivre, de nouvelles manufactures sont encore en construction!
En somme, il n'y pas de déficit structurel grave, tant mieux! Je me félicite de cet état de fait et me permet une large portion de
Kaiserschmarrn, à l'honneur de notre empereur bien-aimé, qui leur a donné ce nom.
Une visite sur les terres du prince Elviszörszkögtzkyszervar donne lieu à une discussion animée sur le cours de la guerre. Le prince, enflammé par un verre de tokay de trop, jure que les Français jetteront les armes si seulement ils savaient suffisamment de Hongrois sous les drapeaux. Peut-être que j'aurais dû me retenir un peu plus sur la boisson moi aussi, car j'envoie sur-le-champ un télégramme vers Vienne pour ordonner la formation d'un corps d'armée lourd hongrois. Une nouvelle tournée de recrutement aura bientôt lieu dans les villages magyars ...
De manière assez surprenante, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV souhaite une entrevue personnelle avec notre souverain. Le comte von Efelleturm va passer ses prochaines journées à faire en sorte que toutes les subtilités du protocole soient respectées. Nous Autrichiens sommes maîtres dans l'art de la diplomatie bien orchestrée.
Début septembre 1855
Face-à-face dans l'Adriatique! Une flotte française de taille inconnue louvoie dans le détroit d'Otranto. Qu'ils viennent sous nos canons, nous sommes prêts!
Le temps est toujours clément, mais pour combien de temps encore? Bientôt, la saison des manoeuvres sera terminée. Nos troupes restent cependant fusil à l'épaule sur les frontières du Bade. Les forces de la Confédération Helvétique ne prennent pas parti dans ce conflit, et respectent la "neutralité permanente" instaurée durant le Congrès de Vienne en 1814-1815 et confirmée lors du traité de Paris de 1815. La France fait de même, bien qu'elle souffre encore de la perte de Collex-Bossy, Le Grand-Saconnex, Meyrin, Pregny, Vernier et Versoix, localités jadis cédées au canton de Genève.
La manufacture textile Goldshmidt ouvre enfin ses portes à Olmütz! La Moravie tire son épingle du jeu de l'industrialisation, et se profile comme l'une des régions les plus dynamiques d'Europe. En plus de ses mines de houille et de lignite, de son agriculture moderne, elle peut se vanter d'abriter la manufacture de cristaux Moser ainsi que les ateliers Lobmayr.
Fin septembre 1855
Une escadre de frégates françaises s'avance dans le Golfe de Venise. Ah, ils pensaient pouvoir faire un peu de tourisme! Nous envoyons par le fond ces malfaisants, sans plus de délicatesses.
C'est une belle victoire, quatre frégates coulées, de quoi s'octroyer un verre de whisky écossais. Il me faudra du plus lourd pour digérer la suite, car un comte zu Dunkelmath tout en sueur m'apporte de graves nouvelles. Loin de former l'essentiel de la force de combat ennemie, l'escadre de frégates n'avait joué qu'un rôle de diversion. Ivres de victoires, les navires autrichiens se sont fait tourner comme des bleus par l'amiral Alexandre Ferdinand Parseval-Deschênes, à la flotte ô combien mieux équipée. Nos navires de ligne se sacrifient pour couvrir une honteuse retraite vers Trieste, trois sont coulés!
C'est un violent revers qui enterre tous les plans d'invasion de la Tunisie, si ardemment discutés dans les cafés de Vienne ces dernières semaines. Nous voilà forcés de chercher la protection de l'artillerie côtière, et condamnés à l'immobilité pour un bon moment. L'amiral français aurait été fait Grand-croix de la Légion d'honneur par l'empereur Napoléon pour sa prouesse.
Ailleurs, les choses ne vont pas mieux. Les peuples du Caucase opposent une farouche résistance aux occupants russes. Habitués à des siècles de guerre incessante, Kalmouks et autres tribus mènent une guerrilla sans pitié. Toute la région est en feu, et le gros de l'armée russe en Suède.
Quelques centaines de lieues plus loin, les Ottomans souffrent des mêmes difficultés. En guerre depuis quelques mois contre la Grèce, les voilà confrontés à une rébellion des Hellènes dans le Dodécanèse.
Tant qu'à parler de lointaines contrées: une première expédition commerciale de mon demi-frère maléfique, Juan Maria Lopez-Olivares, dit "El jmlo", a montré que les opportunités d'investissement étaient assez limitées en ce qui concerne le Mexique. Par contre, le président à vie de la République du Guatemala, Rafael Carrera, offre des conditions autrement plus alléchantes. Il penserait à une distillerie de rhum, ou une indigoterie. Nous verrons, le document français sur la production d'indigo qu'il a donné à El jmlo ne m'inspire pas confiance quant au bien-fondé de cette entreprise. Avec le comte von Efelleturm, nous décidons quand bien même de resserrer les relations avec le Guatemala.
Tentant de regagner mes grâces, M. Budi-Budi investit dans une orfèvrerie à Vienne. On dit qu'il aurait pris sous contrat les meilleurs artisans du Milanais pour éblouir les demoiselles de la haute aristocratie. Nous restons cependant en froid à son égard.
Début octobre 1855
De sauvages combats ont lieu dans le Caucase, et on dirait que l'Asie Centrale se soulève également contre le joug tsariste. Un régiment d'Orenbourg aurait été massacré à Tachkent. Les inconvénients d'un empire réparti sur deux continents, que voulez-vous. De notre côté, les rapports sont plus civils, et si jamais nos sujets venaient à changer d'avis, nous disposerions maintenant d'une armée supplémentaire, car le corps von Schlik a bien grandi. De ses trois corps d'armée d'infanterie, deux sont désormais opérationnels, le troisième ne tardera pas.
Je ne suis plus trop convaincu par les arguments du prince Elviszörszkögtzkyszervar, mais une armée plus considérable ne fera pas de mal pour autant. Trois divisions de hussards renforceront bientôt nos rangs, et 8 régiments d'infanterie de réserve hongrois pallieront à des pertes éventuelles.
Fin octobre 1855
L'incendie du Caucase prend de l'ampleur. Bakou est coupée de toute communication avec Saint-Pétersbourg. Les clans locaux entrevoient la possibilité de regagner leur indépendance et doublent leurs efforts. Les officiers de l'administration civile et militaire russe qui ont le malheur de tomber entre les mains des rebelles souffrent des morts atroces. L'opinion publique de l'Empire Russe est outrée, l'incapacité du Tsar à réagir est aussi évidente que choquante.
Notre flotte regagne un peu de superbe avec la finition de quatre navires de ligne. Ne nous leurrons cependant pas, nous restons en nette infériorité numérique face aux escadres franco-anglaises.
Dans le Sud du pays, une partition des marchés autrichiens s'amorce. Pendant que la Room Schienen-Korporation s'arroge de plus en plus d'usines en Illyrie, la Mundus AG de M. Budi-Budi s'implante fortement en Bohême et Moravie. Sir Arthur Room vient de rendre public ses plans pour une usine de meubles à Zagreb. C'est le genre de compétition que j'apprécie!
Début novembre 1855
La ligne Vienne-Presbourg est terminée! L'Empereur en personne prend part à l'inauguration, qui renforce considérablement l'importance du noeud ferroviaire viennois. Cela pourrait s'avérer décisif en cas de conflit militaire sur nos frontières orientales.
Le revers de tous ces trains, c'est leur consommation ahurissante de charbon. Nous devons puiser dans nos stocks en ce moment, il faudra penser à investir dans des mines bientôt, sous peine de manquer de cette ressource stratégique.
Dans le Caucase, une poignée de divisions transférées d'urgence tente d'enclencher une contre-offensive contre les rebelles. À peine se mettent-ils en marche que l'Itchkérie, dans leur dos, rejoint la rébellion. Le Tsar n'est pas au bout de ses peines.
Avec toutes ces turbuleces, c'est à peine si l'on a remarqué le travail du comte von Efelleturm, qui a préparé depuis des mois un compromis de concordat, qui pourrait nous lier plus étroitement à Rome, au prix de concessions symboliques. Bon chrétien, j'approuve et espère que le pape ne soutiendra pas les singeries de Sardaigne-Piémont.
Fin novembre 1855
Le pape a signé! Alors certes, la censure sera plus sévère et en mains ecclésiastiques, tout comme l'éducation, mais au final, pas grand-chose ne changera, et nous obtenons un allié de poids en Italie.
Le comte von Greiffenau me parlait l'autre jour d'un traité de guerre, avec des concepts aux noms bien recherchés. "Assaut à outrance", "culte de l'offensive", il faut dire qu'il y a là du panache! L'idée s'immisce dans l'état-major qu'un regroupement majeur de troupes dans le Wurtemberg, lancé en bloc contre les Français et ce malgré des difficultés de commandement énormes et indiscutables, pourrait offrir un momentum décisif dans une guerre pauvre en évènements. En préparation de cette éventualité, un nouveau corps d'armée est levé à Buda.
Pour ma part, je me surprends à rêver d'indigo et de carmin, de bois tropical et d'émeraudes. Même le Portugal s'arroge de nouvelles colonies, ne devrions-nous pas suivre le mouvement?