Fin Septembre 1854
Ma foi, le Tsar me parait bien enragé. Non content de s'en prendre au Suédois, le voilà qui envoie ses moujiks se faire tuer dans les vastes khanats d'Asie Centrale. Parviendra-t-il à inféoder les tribus locales? Occupations et révoltes se succèdent à un rythme effréné, un véritable travail de Sisyphe.
Après des années de développement, de tests infructueux et d'essais sur les champs de tir, le fusil Lorenz a fini par être mis au point. Cette arme de qualité, au calibre de 13,9mm et au poids respectable de 4 kilogrammes, équipera bientôt nos troupes.
Elle viendra cependant trop tard pour influencer notre campagne contre la France, qui aura lieu malgré de ternes rapports d'espionnage. Napoléon III aurait envoyé le fils de feu le maréchal d'empire Oudinot, Nicolas Charles Victor Oudinot, ainsi que de nombreux renforts dans le Bade pour parer à notre offensive. Terrain difficile, ennemi en nombre, on ne peut pas dire que la situation soit en notre faveur.
Le maréchal von Heß pense cependant pouvoir tirer parti des problèmes de communication que doivent avoir ces troupes, trop nombreuses pour être coordonnées et commandées efficacement. Risqué, mais jouable, surtout que le duc de Nagy-Aheuc me presse depuis bien longtemps à entreprendre quelque chose contre nos ennemis. Trois armées autrichiennes se mettent donc en marche, après s'être grassement ravitaillés à Stuttgart.
Début octobre 1854
Première echauffourrée avec les Français! C'est plus une rixe de taverne qu'une véritable bataille. Nos troupes ne font pas trop belle figure, en sous-nombre flagrant au moment décisif, elles bravent cependant le feu et ripostent sévèrement. Malgré des pertes plus hautes, les Français restent maîtres du terrain.
L'armée Albert avait avancé seule, ignorant le retard pris sur les routes par von Heß et von und zu Liechtenstein. Décidemment, les problèmes de coordination ne concernent pas que l'ennemi. Ayant appris l'arrivée du général Louis-Achille comte Baraguey d’Hilliers et de son corps en Forêt Noire, je décide d'annuler l'offensive.
Le rapport de force est trop délicat pour l'instant, et il y a un autre argument de poids à avancer. Cette fouine de M. Budi-Budi a réussi avec force promesses et menaces à acquérir la licence de production pour les fusils Lorenz, et ce bien avant que l'annonce de leur état de finition actuel ait été rendu publique. En douceur donc, notre M. Budi-Budi a non seulement établi un monopole sur ce type de fusil, mais encore a bien graissé la patte au comte zu Dunkelmath, momentanément en charge des achats d'armes, pour s'assurer du bon-vouloir du gouvernement.
Pire! Mobilisant toute son énergie et tous ses contacts, il a produit en temps record des douzaines, que dis-je, des centaines de milliers de fusils! Les aciéries Steyr crachent de l'acier nuit et jour pour satisfaire à ses appétits d'ogre, et à peine ce pauvre zu Dunklemath a-t-il signé le contrat d'achat, qu'une semaine plus tard pas moins de 205 régiments seraient déjà équipés!
Les dépenses astronomiques et complètement imprévues qu'occasionne cette livraison express ont fait le bonheur sans limites de M. Budi-Budi. Il aurait investi sa nouvelle fortune dans des mines de cuivre au Chili, persuadé de fonder ainsi un empire financier capable de faire trembler tous les états pendant des siècles. Sa béatitude ne m'intéresse que moyennement, tant que les fusils sont là rapidement, je ne vais pas me plaindre. J'espère que les trains rouleront bientôt en direction du Wurtemberg!
Fin octobre 1854
Un bilan sur notre place dans le monde? Avec plaisir, baron von Rehborn. Nos conquêtes permettent de compenser quelque peu notre manque flagrant de possessions coloniales. Les souverains d'Europe craignent (à juste titre, si j'ose dire) le courroux de nos armées, mais nous sommes complètement déclassés en ce qui concerne la marine de guerre. La flotte britannique est presque sept fois plus grande!
Ne soyons pas jaloux, une bonne flotte ne signifie pas une bonne guerre, car revoici les Anglais dans le Frioul! À leur tête, un général bien connu de nos états-majors: le baron Raglan (Fritz Sommerset pour les intimes, mais je n'approuve pas ce manque de rigueur formelle). Bien bien, notre armée stationnée à Trieste va avoir l'occasion de tester ses nouveaux fusils!
M. Budi-Budi doit être au bord de la crise nerveuse, ne plus quitter son bureau, submergé de télégrammes et de courrier. Ce diable d'entrepreneur a réussi à mettre ses ouvriers au travail, et de quelle manière! Il a monté les quotas de production et baissé les salaires à l'heure, obligeant à travailler plus longtemps et à produire beaucoup plus pour toucher de quoi alimenter la famille. On parle de journées de 18, voire 20 heures, de morts d'épuisement régulières, de regards de possédés sortant de l'usine au milieu de la nuit, quand ils ne préfèrent pas tout simplement s'écrouler à côté des machines pour sombrer dans un profond sommeil. Grâce à cet homme, nos régiments aux noms cinglants (ah, le régiment d'infanterie N° 75 "Folliot de Crenneville"! Et le N°87, "von Succovaty"!) touchent à vitesse inimaginable leurs fusils; cette semaine-ci, ce sont 300 nouveaux régiments qui en sont équipés – une folie sans nom!
Le reflux de fusils anciens et la fièvre patriotique qui gagne l'empire me pousse à écouter le comte von Stratte zu Kömsz, qui veut depuis longtemps étendre les réserves. Sur décret impérial, 10 régiments hongrois et 19 régiments autrichiens sont formés.
En amuse-gueule, un traité commercial est signé avec le Hesse-Darmstadt. De plus, nous essayons une fois de plus de motiver Juan Maria Lopez-Olivares à prendre pied diplomatiquement en Amérique Latine. Je verrais d'un bon oeil un investissement autrichien au Mexique, par exemple.
Début novembre 1854
Il faudra penser à construire quelques forts sur les côtes du Frioul ...
L'archiduc Charles-Ferdinand ne réagit pas assez vite, évoque des problèmes d'intendance, des reconnaissances voyant des ennemis à tout bout de champ ... tout ce dont nous n'avons pas besoin en somme, car le baron Raglan risque de prendre pied avec chaque jour passant. Le voilà déjà rejoint par un minuscule corps expéditionnaire français!
Fini de rire, c'est la fine fleur de l'aristocratie bohémienne qui est appelée à la rescousse! Le comte Eugène Wratislaw von Mitrowitz-Nettolitzky en personne, maréchal depuis belle lurette et fin tacticien. Avec lui, 100 000 hommes décidés à en découdre.
Dans le Wurtemberg, les wagons débordant de fusils sont bien arrivés. Nos armées n'ont plus qu'à s'habituer un peu à tirer, et nous pourrons repartir à l'assaut de la France. Entretemps, les soldats s'occupent avec les nouvelles sordides de Linz. Le baron Azerty-Liebkenstein, sous l'emprise d'alcool, aurait craché sur la magnifique montre bardée d'émeraudes qu'Alfred Leaz avait rapportée d'un coquet voyage en Inde. Il l'aurait giflé pour cet outrage, et l'empoignade qui suivit n'était pas digne du sang bleu de l'un des protagonistes. C'est un bien triste succès de l'armagnac sur les âmes faibles.
Sur une note plus agréable, la tant attendue liaison ferroviaire entre Vienne et Presbourg est enfin mise en chantier. On apercevra Sir Arthur Room tout à droite, contant fleurette à l'épouse du comte von Druss zu Dharan (depuis quand parle-t-elle aux bourgeois, d'ailleurs?).
Fin novembre 1854
Nous avons surestimé nos capacités de réorganisation en Allemagne du Sud, les problèmes de départ deviennent de plus en plus compliqués chaque jour. Les trains de munitions n'arrivent pas où ils doivent, les recrues ont du mal à s'habituer à leurs fusils, et l'hiver fait des ravages dans les rangs. 20% des troupes ne sont pas en état de combattre, nous ne pouvons mener d'offensive dans ces conditions. Cela fera mauvaise presse, mais ... nous rentrons en Bohême pour y passer l'hiver.
L'archiduc Charles-Ferdinand tourne toujours ses pouces, et se montre incapable d'attaquer le baron Raglan. Quel théâtre! Au moins, les services viennois fonctionnent, et j'ordonne la levée d'un nouveau corps d'armée. Notons que l'académie thérésienne nous propose aussi un nouveau schéma d'organisation dit de "corps lourd", à l'artillerie plus nombreuse et dotée de calibres plus gros. Nous y reviendrons, le XXIIe corps sera "classique", nous ne sommes pas conservateurs pour rien.
Début décembre 1854
Une grave crise de confiance entre la France et la Grande-Bretagne a eu lieu. Durant "l'incident de Figuig", un commandant français a refusé d'évacuer une position considérée comme étant en territoire britannique. Il y a eu des blessés graves, peut-être une poignée de morts, en tous cas Londres et Paris s'insultent par journaux interposés.
Enfin, l'archiduc se décide à attaquer. La pression intense exercée par le secrétariat impérial n'aura pas été étrangère à cette décision. Le flot de recrues s'étant un peu tari, le ministère de la guerre préfère investir dans la marine plutôt que l'armée de terre. Une nouvelle escadre de navires de ligne est commandée, Emile-Richard Thrawn et son commerce d'équipements navals jubilent.
Fin décembre 1854
Sournois comme pas deux, le baron Raglan parvient à leurrer les forces de l'archiduc et pousse vers Trieste, peut-être dans le dessein d'y capturer une partie de la flotte autrichienne. Heureusement, le comte von Mitrowitz-Nettolitzky est parvenu à destination plus vite que prévu, et l'accueille salement.
Pour son engagement particulier, l'archiduc Charles-Ferdinand est promu maréchal et chevalier de l'ordre militaire de Marie-Thérèse. Oui, Charles-Ferdinand, non, il n'a pas fait grand-chose. Pourquoi? Disons que vous devrez chercher la réponse à Schönbrunn ...
Le cafard n'est pas encore écrasé ... il faudra s'y reprendre. Nous avons le temps, nos armées du Nord on pris leurs quartiers d'hiver en Bohême et attendent des temps plus cléments.
L'heure est à la retenue pour nos commerçants eux aussi. La situation dans le Golfe du Bengale devient intenable, nos marchands peinent à trouver des ports où réparer les dégâts occasionnés par les raids britanniques. Je les enjoins de rejoindre les ports autrichiens pour y rester jusqu'à la fin de la guerre, s'ils parviennent sains et saufs vers leur patrie bien sûr, ce qui n'est guère certain.
La nouvelle perle de notre industrie chimique a ouvert ses portes en Hongrie. Le marché est inondé d'alcoolatures et de produits miracles à bas prix. Le comte von Greiffenau aurait largement étendu sa collection et sa consommation quotidienne, allant jusqu'à réserver une étagère entière de sa chambre de travail à ces substances.
Les fêtes de fin d'année sont un bon moment pour reconsidérer notre situation stratégique. Notre monarchie est-elle assez forte pour faire face aux défis qui nous attendent? Quels seront ces défis? Nos armées sont-elles prêtes? Notre économie peut-elle soutenir suffisamment d'efforts militaires? Notre constitution intérieure est-elle solide? Devrions-nous nous lancer dans la course aux colonies?