Les nouvelles campagnes militaires avaient asséché le réservoir humain de Rome, des réflexions diverses sur une réforme de l’armée étaient depuis longtemps tenues dans les villas des grandes familles. Il était devenu inévitable de professionnaliser les légions, et d’abandonner l’ancien système qui ruinait à intervalles réguliers la plèbe en mobilisant les hommes les plus forts durant la saison des travaux champêtres. La réforme prit place lentement, touchant d’abord la Legio IV Herculia.
Les troupes actives ne furent réformées que bien plus tard. La Legio VII Africana, par exemple, qui lava l’affront de son ancêtre éponyme par la prise de Cydamus, continua à se procurer des recrues d’après l’ancien système pendant plusieurs saisons.
La menace dalmate avait été éliminée, les Libyens soumis, les Carthaginois réduits à peu de choses. Les nouvelles provinces africaines devaient être pacifiées, d’autres conquêtes dans cette région étaient exclues. Les légions sur place pouvaient toutefois jouer un rôle défensif, et justement, les Spartiates avec leur politique d’expansion à outrance en Afrique plaçaient des limites à Rome. La péninsule grecque et ses incommensurables richesses elle aussi se présentait comme cible idéale. Le bloc grec, composé d’Athènes, de Sparte et du Royaume de Macédoine, pouvait certes faire montre d’une certaine puissance. Seraient-ils cependant capables de soutenir une guerre contre Rome ? Le sénat pensait que non, et préparait leur conquête prochaine.
Les Héllènes ont du avoir vent de ces plans. Cela aurait été un grand hasard que précisément après quelques semaines de préparatifs militaires, des ambassadeurs des trois factions se retrouvèrent à Rome, les chariots remplis d’or et les langues pétries de paroles mielleuses.
Les patriciens sont faibles quand il s’agit d’or … après tout, les Celtes et autres Germaniques feraient de tout aussi bonnes victimes, eux qui ne daignaient pas s’agenouiller devant le génie romain. Les accords furent scellés et la Grèce perdue de vue. Accessoirement, les dettes de nombreux optimates furent épongées en ces temps. Les Grecs maîtrisent l’art de la politique depuis la nuit des temps.
Gaius Scribonius Vitulus, patron des Iunii, dut un peu abuser de sa nouvelle richesse. Il fut retrouvé mort une outre de vin épicé à la main peu après le départ des diplomates étrangers.
Chapitre VI : le patronat de Spurius Vagennius Marcellus
Son successeur, Spurius Vagennius Marcellus, rongeait depuis longtemps son frein, animé par une ambition débordante. La politique de consensus menée par les Iunii à l’égard des autres grandes familles l’agaçait depuis des décennies. Les Iunii avaient mené Rome au sommet de sa puissance, pourquoi partager le pouvoir avec ces aristocrates sans entendement ? Le sénat devait lui appartenir, son aide pourra être utilisée pour écraser ses ennemis.
Cependant, à côté des luttes internes, il y avait également un empire entier à gérer. Les Arvernes, maîtres d’une grande partie de la Gaule et de pratiquement toute l’Hispanie, cherchaient à profiter d’une amitié. Leurs deniers furent les bienvenus.
À peine Spurius Vagennius Marcellus avait-il pu vérifier l’état des légions en Germanie et en Italie, qu’un de ses esclaves l’attaqua au poignard. Bien que sauvé par un autre esclave, une vile blessure à la poitrine le cloua au lit et fit craindre sa mort prochaine. Les grandes familles de Rome n’étaient pas aussi faibles qu’elles y paraissaient.
Son remplaçant et successeur désigné, Sextus Fundanus Traianus, subit le même sort peu après. Le message était clair !
Qu’importe, Spurius Vagennius Marcellus du fond de son lit envoyait ses ordres de tous côtés. Les Iunii s’agrippaient au moindre poste et favorisaient honteusement les leurs sur la scène politique.
Ces querelles restaient heureusement cachées à des observateurs étrangers. Une sublime caravane du pharaon amena à Rome la proposition d’un pacte de non-agression, qui fut dûment honorée.
Le linge sale ne se lavait pas en public …
… et les Pictes, fortifiés au Nord de la Gaule Cisalpine, pouvaient profiter d’un report des préparatifs d’invasion. Alors que trois légions campaient à leurs frontières, Rome restait divisée.
De plus, les yeux étaient rivés sur Carthage. Quelques rôdeurs puniques, les derniers rescapés de ce noble peuple, avaient surgi du désert et attaqué leur ancienne ville-mère.
Le commandant de la garnison avait eu soin d’utiliser l’argent public pour réparer les murs et payer ses hommes, plutôt que de le fourrer dans sa poche. Une force de défense considérable attendait donc les incurseurs.
Les approches de la ville étaient surtout composées de terrain difficile. Il n’y avait pas moyen de contourner les fortifications.
Le port restait défendu par deux navires et un couple de balistes, tandis que le reste de la garnison gardait les murs.
Les Puniques avaient envoyé la piétaille en avant pour placer des échelles, et se concentraient sur la façade orientale.
Autant dire que l’on ne pouvait pas attendre d’eux de mener un assaut couronné de victoire, les murs étaient bien garnis.
Les hoplites étaient plus à craindre …
… mais peu d’entre eux arrivèrent jusqu’aux échelles, décimés par le feu nourri d’archers et de lanceurs de javelots.
Leur sacrifice fut aussi vain que celui de la cavalerie et des éléphants.
Les derniers tressaillements de Carthage n’avaient pas été particulièrement glorieux.
Les choses s’étant un peu calmées à Rome, les Pictes avaient de quoi trembler.