Prologue: instabilités
Repus par leurs victoires, l'Allemagne et les États-Unis étaient devenues des puissances impériales. Mais des puissances impériales aux populations surtout soucieuses de profiter enfin de la paix, après des sacrifices indécents, et de la place au soleil de leur pays.
Ce fut leur chance que les premières années de l'après-Grande Guerre eurent été si mouvementées chez les battus d'hier.
La Confédération se débattait avec sa rébellion. La défaite l'avait ravivée. Les ouvertures faites aux noirs dans la dernière année de guerre n'avaient pas suffit à éteindre les braises d'un mouvement pourtant battu fin 1916. Dans le chaos politique de la fin de la décennie 1910, les noirs étaient pris entre deux feux. D'un côté leurs frères de race révoltés, de l'autre les radicaux (et il faut bien l'admettre une partie non négligeable de l'opinion publique blanche) les accusant d'avoir trahi, planté un couteau dans le dos de leur patrie. Tout en oubliant tout ce que cette Patrie n'avait jamais fait pour eux... Ou si tard.
Les institutions elles-mêmes étaient ébranlées. L'autorité de Richmond était vacillante: l'armée, limitée par les traités à 100 000 hommes, était l'ombre d'elle-même et avait fort à faire avec l'insurrection. Les milices des États prenaient le relai, mais leur puissance avait été elle aussi limitée. Nombre d'anciens combattants radicaux, de jeunes exaltés et autres ambitieux désœuvrés prenaient les armes et faisaient justice eux-même. Autant de groupes armées, de "Corps Francs", formaient autant de groupuscules politiques aux idées nouvelles, inédites dans la Confédération d'avant-guerre: révolution sociale et nationale, homme nouveau, culte de la force...
Un de ces groupes, le "Freedom Party" prit assez d'ascendant pour éliminer petit à petit sa concurrence et devenir crédible aux élections présidentielles de 1921. Leur programme était représentatif de ces partis. Révolutionnaire, le parti voulait mettre à bas la société traditionnelle et les élites aristocratiques, accusées d'être responsable de la défaite. De la guerre sortait l'homme (blanc) nouveau qui devait prendre la place de ces aristocrates corrompus, remettre les noirs, autres responsables, à leur juste place et préparer le renouveau... et la revanche.
En 1921, leur milice en uniforme (chemise blanche et pantalons kaki) faisait le coup de poing, souvent le coup de feu, avec les autorités. Leur leader, Featherston, remporta plusieurs États. Pas assez pour que les Whigs ne perdent. Assez pour inquiéter.
Il y eut la provocation de trop, l'attaque pendant l'investiture du Président Wade Hampton V, qui décida ce dernier à serrer la vis. De son côté, le Freedom Party sentait sa popularité diminuer: trop de provocations et, surtout, la situation s'améliorait sensiblement. En 1923, Featherston lança sa dernière carte et, depuis une brasserie où avait lieu une réunion de son Parti à Atlanta, lança ses troupes à l'assaut du pouvoir. Le Putsch fut écrasé par la milice et la police. Featherston se tua.
L'état d'urgence, proclamé dans la foulée, marqua la deuxième naissance de la Confédération. L'armée s'empara dans les coulisses du destin du pays. Le mot d'ordre était à présent le calme, l'ordre, la résolution, la préparation. A côté des institutions, inchangées, l'état d'esprit était refondé: le pays n'était plus sûr de lui-même mais au contraire menacé dans sa survie, une citadelle assiégée. Toutes les énergies étaient nécessaires, fussent-elles noires.
Dans l'entreprise, à l'école, les exercices de plein air, les clubs de tirs, les aéroclubs et autres sociétés nautiques ou automobiles populaires furent encouragées, multipliées, parfois imposées.
Au début des année 1930, il ne suffisait que de quelques textes de lois pour transformer ses sociétés en mécanismes de réserve et de mobilisation; il suffisait d'armes et d'uniformes pour faire de leurs membres des soldats.
En Russie, la guerre civile s'était achevée après de nombreuses années par la victoire de l'Amiral Koltchak. Isolés, maître d'un Empire Russe amputé de ses provinces les plus occidentales et toujours instable, le nouveau pouvoir s’attela à la reconstruction. Il fut assez stable pour qu'après quelques années, Koltchak franchisse le Rubicon et monte sur le trône des Tsar. Sa légitimité, il la consoliderait par la revanche... quand elle serait possible.
La France, quant à elle, vécut des années terribles. La troisième république, moribonde, était incapable d'affronter à la fois les bandes radicales d'anciens combattants et les mouvements de grèves insurrectionnelles. La révolte du bassin Parisien en fut le point culminant. Mais bien qu'ayant chassé les institutions de la capitale, les insurgés échouèrent à fédérer les efforts révolutionnaires à l'échelle nationale.
L'entrée à Paris, après de rudes combats, de la petite armée d'Armistice avec, à sa tête, le général Pétain jugé sur un cheval blanc, sonna le glas de ce qui restait de la Troisième. Les chambres, que depuis longtemps plus personne n'écoutaient, votèrent les pleins pouvoirs au Général. Quelques jours plus tard, le Général Pétain devenait "Chef de l’État", puis, quelques années plus tard, "Lieutenant Général et Régent du Royaume". La "Régence" était née.