Leaz a écrit :Tu exagère un peu sur la sphère hellénistique quand même, elle recouvre plus les bord de la méditerranée orientale, que l'ensemble du bassin jusqu'en Espagne, où c'est plutôt la culture punique et le culture romaine qui va être la référence (même si, oui, bien sûr, la culture romaine est une culture largement influencée par la culture grecque).
Pour moi on attribue beaucoup de choses à Alexandre qui ne lui sont pas directement attribuable. On oublie un peu le rôle de Philippe II, son pôpa, qui lui a gentiment préparé tout l'arsenal militaire nécessaire à ses campagnes. Et surtout son incapacité à régner sur l'empire qu'il conquis en fait une comète de l'histoire : ça brille, c'est joli dans le ciel, mais elle passe très vite et bientôt il n'en reste plus qu'un souvenir. La brièveté de son règne est quand même frappante : il conquiert, puis meurt. Jamais il ne gouverne.
L'essor de la culture hellènistique est plus à mettre au compte des diadoques : le syncrétisme greco-égyptien des Ptolémée ; les séleucides qui renforcent et exportent le modèle de la Polis ce qui va influencer le développement urbain des territoires orientaux ; la Bactriane (mes préférés) et leur syncrétisme entre bouddhisme, panthéon grec et mazdéisme qui font rayonner cette culture aussi loin de ses origines..
Et puis surtout, rapidement les Parthes arrivent et remettent tout l'espace persan au pas. Ce sont les Parthes qui seront les ennemis invincibles des romains, pas les grecs.
Bon ceci dis, je n'enlève rien a Alexandre quand même hein, ça reste un conquérant de génie, on est bien d'accord.
Mais Auguste pour moi est un cran au dessus : c'est celui qui conquiert et règne. Il pars de rien, bidonne le testament de César, fais montre d'une habilité politique hors-norme pour s'imposer contre ses rivaux, gagne la guerre civile malgré qu'il soit un général médiocre, car il sait bien s’entourer. Et ensuite, il gouverne jusqu’à sa mort, offrant une des périodes les plus stable de l'histoire romaine. Bref il transforme une cité mal-dégrossie en proie à des luttes intestines et des révoltes quasi permanente en un ensemble bien plus homogène, fédéré autour d'une institution nouvelle et capable d'intégrer les élites de l'empire en leur faisant miroiter des postes dans l'ordre équestre ou sénatorial. Alors certes il y à Pompée et César avant lui, qui sont les conquérants, mais le plus dur ce n'est pas la conquête : l'appareil militaire romain est une mécanique de précision, bien rodée, bien huilée, qui n'a besoin que d'un horloger aux compétences médiocres pour donner l'heure exacte. Le plus dur c'est la préservation du pouvoir, spécialement durant l'antiquité ou la religion n'est pas fédératrice (au sens des monothéisme), ou le nationalisme est bien souvent réduit a l'échelle de sa cité / sa région proche ou la culture du "légalisme" est quasi-inexistante.
Bref tout est a inventé et Auguste l'invente. Il invente une nouvelle culture politique.
Ah... Enfin une discussion intéressante.
Pour moi, l'empire romain faisait partie de l'aire de diffusion de la civilisation hellénistique : la culture, l'art, l'architecture, la littérature et même la langue (chez les élites, du moins – on ne sait même pas, par exemple, si le célèbre « Toi aussi, mon fils » a été prononcé en latin ou en grec - un noble romain étant tellement bilingue que, même au moment de mourir, il peut s'exprimer dans l'une ou l'autre langue) sont grecs. Sans parler de Néron, un espagnol comme Hadrien est un parangon de culture hellénique. Or, il se trouve que les Colonnes d'Hercule sont en Espagne...
Il est vrai que l'action de Philippe a été d'une immense importance, mais c'est Alexandre qui a conquis son empire en dix ans : il ne l'a pas trouvé tout fait, comme Auguste, dont l'action a été avant tout politique (ses manœuvres insidieuses et sa propagande pernicieuse ont été déterminantes dans la chute d'Antoine). Il lui a d'ailleurs fallu quatorze ans pour parvenir au pouvoir suprême.
Je ne sais pas si Alexandre a gouverné, mais il a sûrement administré : la difficulté logistique d'entretenir, réarmer, approvisionner et fournir en renforts une armée à plusieurs milliers de kilomètres de ses bases, dans des régions d'accès difficile, était colossale, et pourtant il l'a fait. Et il a tenu son empire, sinon, il n'aurait pas pu relever ce défi logistique. Entouré de compagnons macédoniens tous plus turbulents et ambitieux les uns que les autres, il les a maintenus dans le rang, avec une main de fer (et pas de gant du tout !).
Les conséquences de sa conquête n'apparaîtront vraiment que sous les Diadoques. Mais que sont les Diadoques : en langue grecque ce sont les « Héritiers », et que sont les héritiers s'il n'y a pas d'héritage ? Ils sont les ombres du Conquérant, sans lui, ils n'auraient pas existé !
Alexandre n'a pas eu le temps de mettre en œuvre un projet politique, mais à mon avis, il a donné une indication dans ce qu'on appelle les « Noces de Suse » : quatre-vingt dignitaires macédoniens et des milliers de soldats épousent des femmes perses. On a voulu y voir une volonté d'intégration des peuples vaincus et de fusion ethnique dans un empire homogène. En fait, je pense que l'objectif est moins « humaniste » et visionnaire : si on lit, par exemple l' «
Histoire de l'empire perse » de Pierre Briant, on constate que l'empire achéménide était organisé sur une base ethnique : un peuple gouvernant, les Perses, doté de droits et de privilèges particuliers, dominant et gouvernant des peuples ayant des statuts particuliers, les plus proches du centre étant plus favorisés. Je crois qu'Alexandre voulait adopter une structure dominée par les gréco-macédoniens et les perses (pépinière de bons soldats et d'administrateurs expérimentés), sans qu'il soit possible de dire si les autres peuples auraient fait l'objet d'une hiérarchisation. A noter que, de tous les mariés connus, seul Seleucos a gardé sa femme perse, ce qui montre que son projet allait contre les idées reçues...
Qu'a inventé Auguste ? Le principat... Mais il y a déjà eu, bien avant lui, des imperatores qui ont dominé la république. La différence est qu'ils n'ont pas pérennisé leur pouvoir : en schématisant, on pourrait dire que Marius n'a pas su, Sulla n'a pas voulu, Pompée n'a pas osé, César n'a pas pu. Mais je suis persuadé qu'un jour ou l'autre, quelqu'un aurait institué la monarchie dans l'empire, si Auguste ne l'avait pas fait (c'était inévitable dans la mesure où les luttes d'ambition et de partis rendaient l'empire ingouvernable, et menaçaient même de le détruire, lui et ses élites).
Le génie d'Auguste, tout empreint d'un pragmatisme bien romain, dirais-je, c'est d'avoir conservé les formes de la république, en concentrant tous les pouvoirs entre ses mains, tout en maintenant le Sénat et l'aristocratie dans le dispositif. Et de d'avoir réorganisé l'empire de façon que son pouvoir ne soit plus contestable et puisse se pérenniser, mettant fin ainsi aux Guerres Civiles.
Ce sont les événements qui commandent aux hommes et non les hommes aux événements.
Hérodote
Rien n'arrête le progrès. Il s'arrête tout seul.
Alexandre Vialatte
L'historien ne va pas à reculons, mais il a un rétroviseur.