Matthias Ier avait été accablé de sueurs froides jusqu'a la nouvelle salvatrice de l'accord trouvé avec les Polonais. L'idée de voir ses ennemis parader en son pays, sans qu'il eut pu faire quoi que ce soit, le hantait en permanence. Comment avait-il pu être aussi naïf et croire qu'une petite armée suffirait à imposer la volonté autrichienne? À quoi auraient servi toutes les économies réalisées vis-à-vis de l'entretien des troupes quand les trébuchets étrangers réduiraient Vienne en cendres et forceraient l'archiduc à baiser les pieds du tyran qui l'aurait soumi? Tous les forgerons d'Autriche reçurent l'ordre de cesser leurs travaux pour se concentrer sur la production d'armes. Piques, hallebardes, épées longues et courtes, armures, écus, lances, masses d'armes, haches ... les arsenaux devraient déjà en être remplis!
Les hommes qui auraient à les manier manquaient encore. Il fallait faire preuve de retenue pour ne pas dépeupler des villages entiers, car malgré tout l'archiduc ne pouvait commander qu'a assez peu de sujets. Rien à voir avec les vastes royaumes de Pologne, de Lituanie, d'Angleterre, ou ... de France. Les yeux du jeune souverain s'embrasèrent lorsqu'on lui montra les cartes consécutives au traité de Verneuil, où le Saint-Empire dut céder de larges terres aux Francs.
Même les Pays-Bas avaient été démembrés ... Matthias n'en pouvait plus. Les dispositions prises pour la reconstitution d'une armée duchale étaient raisonnables, mais trop lentes à son goût. Il révoqua nombre de protections pour l'enrôlement de serfs, augmenta la prime à l'engagement pour des soldats de l'Empire, reçut de plus en plus de capitaines italiens à sa cour, visitait presque quotidiennement les forges et organisait de longs voyages dans le seul but de trouver de nouveaux hommes d'armes prêts à servir sa cause. Les immenses efforts déployés ne passèrent pas inaperçus à l'étranger. Les princes du Saint-Empire approuvaient ces gestes. Leur honneur n'avait été que trop bafoué.
Henri II de Valois n'éprouvait que dédain et mépris pour ce qu'il considérait comme des agitations épileptiques d'une horde de rats barbares se pressant aux portes de son magnificient royaume. Pour montrer sa puissance, il mit en garnison ses meilleurs hommes en Alsace. L'on rapporta que l'armée qui s'y était rassemblée comptait plus de 17 000 cavaliers et 18 000 piquiers, archers et épéistes! C'était là des chiffres auxquels l'on pouvait à peine croire, seuls les rapports répétés d'espions de nombreux pays parvinrent à convaincre l'archiduc de leur véracité. Et ce n'était là qu'une fraction de la colossale force des Francs. On soupçonnait que le roi pouvait faire appel à plus de 90 000 autres hommes en cas de guerre! En comparaison, les 25 000 hommes des Habsbourgs paraissaient bien pâles ...
Une courte guerre entreprise avec la Hongrie contre Raguse régla son compte à la petite cité marchande. L'Autriche vint aussi au secours de Gênes lors d'une guerre contre la Savoie. Beaucoup d'états se rallièrent à Matthias pour ce conflit: Ferrara, les États du Pape, Venise, le Palatinat. Ils se rangèrent tous à la suprématie autrichienne, c'était bon à savoir. Le duché de Savoie n'avait aucune chance et fut soumis rapidement. Il devint un vassal de l'Autriche et céda ses terres les plus méridioniales à Gênes.
L'archiduc cavalait d'une cour à l'autre, tenant des discours haineux aux princes du Saint-Empire. Il voulait persuader chaque noble de la nuisance extrême que représentait la France. Il n'en fallait pas beaucoup pour convaincre la plupart d'entre eux, car ils avaient presque tous soufferts de la main des Valois. L'arrogance de ces derniers était sans limite, ils avaient même interdits au Limbourg et à la Gueldre d'intervenir dans le Brabant, où grondait une gigantesque révolte de paysans. L'Angleterre conclut une alliance avec l'Autriche juste avant que Matthias se fasse enfin élire Empereur, après la mort de Johann Wilhelm Ier le 12 juillet 1457.
Le recrutement de nouvelles troupes en fut la conséquence la plus directe, un an plus tard il pouvait déjà compter sur 44 000 hommes. Une armée imposante et ô combien plus puissante que celle qu'il avait menée contre la Pologne quelques années plus tôt, mais toujours trop peu pour en imposer aux Francs. De nouvelles idées en provenance d'Italie et de Suisse furent intégrées, l'entraînement considérablement étendu, la solde augmentée et de vaillants capitaines engagés. Le but était de renforcer la cohésion des troupes, de garantir une excellente habileté dans le maniement des armes et de rendre l'armée plus uniforme. Il restait à éprouver le résultat de tous ces efforts sur le champ de bataille. La seule amélioration tangible en temps de paix fut la baisse du taux de désertion.
Celà allait vite changer ...
Quousque tandem abutere, Gallia, patientia nostra? Ces immondes pourceaux français ont osé l'inimaginable, l'insulte suprême, le sommet des folies! Ils s'en prennent à Liège et au Brabant! Les préparatifs autrichiens n'étaient pas finis, mais à peine cet affront annoncé, l'Empereur leva son bras empli de courroux pour protéger son vassal. Le Saint-Empire défendra son bien!
Cette guerre était inévitable, et pourtant elle aurait pu débuter sous de meilleures augures. Certes, L'Aragon et le Portugal menaient une guerre de frontière avec la France. Nos alliés anglais, génois, palatins et hongrois ne se sentaient par contre pas concernés, et laissèrent l'archiduché pratiquement seul face aux Francs.
Fou de rage, Matthias lança ses deux plus grandes armées à l'assaut des possessions ennemies. L'armée duchale repoussa les Lorrains de leurs terres et mis siège à leurs châteaux, tandis que l'armée du baron Greiffenau von Wolfsberg (le fils du défunt chevalier Greif) occupa les principales artères de l'ancien évêché d'Alsace. Quelle joie les paysans n'éprouvèrent-ils pas à la vue des banniéres impériales! Matthias était heureux de voir la loyauté de sujets, fidèles même sous la menace des tyrans qui prétendaient les gouverner!
Sa mine s'assombrit quand il vit arriver la gigantesque armée du perfide Ignace de Saint-Germain, comte d'Auvergne. Son roi lui avait donné tellement de moyens que c'était à en pleurer! Sans les renforts qui ne venaient que lentement d'Autriche, personne ne pouvait s'opposer à ces démons. Toute la discipline du monde n'y changerait rien. Matthias fut forcé de retraiter et d'abandonner la Lorraine et l'Alsace à leur sort. Anvers tomba également, ce qui ne fut une surprise pour personne.
Les puissantes forteresses de Forêt Noire verrouilleraient efficacement l'accès vers les terres autrichiennes, pensait-il. L'on signalait déjà des troupes de Provence dans le Trentin, et même des Francs débarqués en Istrie! L'Empereur fonça vers le Sud pour repousser les envahisseurs, tandis que Rainer-Friedrich von Stubenrauch, un général de renom dont Matthias louait les services à prix d'or, tentait de retarder les Français sur le Rhin.
Mal lui en prit! De grosses colonnes de cavaliers eurent tôt fait de rattraper les Autrichiens, les forcant à la bataille à Pfaffenhoffen le 20 mars 1459, puis le 27 mars dans les environs de Metz. Il n'y eût qu'une poignée de rescapés, l'armée duchale, la plus grande de l'archiduché, avait été rayée de ce monde! Comment arrêterons-nous ces démons désormais?
Il fallait recourir à des mesures draconiennes. Les tentatives de reconquête d'Anvers furent abandonnées, les chevaliers de l'armée des Flandres retournèrent vers l'Autriche en passant par l'Allemagne centrale. L'Empereur voulait débarasser le Trentin et l'Istrie de toute présence ennemie, et ce à l'aide d'une armée impériale fraîchement levée. Von Wolfsberg tentait lui aussi de rentrer en Autriche avec son armée qui naguère couvrait les flancs de l'armée duchale. De hautes fonctions cléricales furent vendues au plus offrant pour vingt ans, les fonds récoltés servirent à recruter des dizaines de nouveaux régiments dans tout l'Empire. Le repli vers l'Autriche était nécessaire pour rassembler à nouveau toutes les forces disponibles. Une fois ceci fait, une bataille décisive contre la France pourrait être engagée. C'étaient là les plans du conseil de guerre de Sa Majesté.
Quand le Brabant apprit le repli autrichien, il découragea d'espérer la moindre victoire et se jeta dans les bras avides du vautour français. Le prix qu'il eût à payer pour se défaire de son étreinte morbide fut énorme: 950 000 ducats et le comté même du Brabant. Il ne restait donc aux princes de ce pays que quelques possessions annexes ...
Complètement épuisé et hanté par des cauchemards, le fébrile Matthias Ier rendit l'âme dans la nuit du 9 au 10 juin 1459. Son frère cadet Johann Ier prit les affaires en main. Il n'avait pas le temps de voyager à Francfort, aussi les princes du Saint-Empire le couronnèrent-ils à Vienne. Tous comprenaient l'enjeu immense de cette guerre et soutenaient moralement leur plus haut suzerain sur terre.
Le nouvel Empereur se trouvait dans une situation très délicate, c'était à lui de faire en sorte que l'Autriche sorte victorieuse de cette guerre infâme. Il ne put empêcher Rainer-Friedrich von Stubenrauch d'encourir sa perte dans le Bade, où il avait fait volte-face devant Gaston de la Tour d'Auvergne, qui menait un contingent presque équivalent au sien. Il perdit cependant cette bataille et fut surpris par l'arrivée de renforts montés en provenance de Lorraine, qui l'acculèrent à une défaite totale à Heidelberg. Cette nouvelle perte de quinze régiments forçait Johann à la plus grande prudence. La moindre bataille perdue pouvait se transformer en désastre insurmontable. Qu'adviendrait-il des terres dont il venait d'hériter si plus un homme ne dresserait sa lance pour les protéger?
De nouvelles troupes étaient levées sans cesse. Contrairement à son frère qui avait un faible pour l'infanterie, plus simple à entrainer et entretenir, il s'efforçait de recruter des chevaliers en leur promettant monts et merveilles. Les piquiers ne lui inspiraient pas confiance, il préférait avor à ses côtés des nobles bien équipés, qui avaient tout à perdre s'ils se battaient mal. Il fit ses preuves lors de la bataille de Schwaz, détruisant l'armée de Provence du comte Alphonse III. Les Français avaient aussi été chassés d'Istrie, mais menaçaient d'occuper tout le Bade et la Souabe. Leurs laquais de Trèves ne manquaient pas de leur prêter main forte pour leur sombre office.